l’alsacienne de Paray-le-Monial

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Vision bien surprenante que celle de cette silhouette d’alsacienne qui attire le regard à quelques pas de la célèbre basilique de Paray le Monial. Reconnaissable de loin, elle fait partie d’un groupe en bronze placé devant le monument aux morts. Sa présence singulière ne manque pas d’étonner, si loin de l’Alsace, dans le calme paysage du Bourbonnais.

Un duo très symbolique

Auprès d’elle, se tient une lorraine en costume régional, ces deux personnages formant un duo dont l’image récurrente a été abondamment utilisée avant et après la Première Guerre Mondiale pour exalter le sentiment national suite à la perte de l’Alsace et de la Lorraine après la guerre de 1870-71.

Ce couple féminin a fait l’objet de si nombreuses représentations qu’il a pris valeur de stéréotype, intégré tel quel au roman national.

Le rappel d’un drame national

 

 

Si l’on peut sourire de nos jours devant le symbolisme appuyé de cette évocation, on ne saurait oublier le traumatisme qu’a représenté à l’époque l’intégration de ces deux provinces dans le Reich allemand.

La figuration émouvante de ces femmes en tenue traditionnelle a longtemps servi d’instrument politique pour galvaniser l’esprit patriotique et apporter une justification à la « Grande Guerre ».

Un monument en miroir

A Nancy se dresse un monumentmettant en scène ce même duo féminin. La ville, miraculeusement épargnée par l’annexion allemande, s’était alors retrouvée en position de ville frontière face au voisin germanique.

 

« Le Souvenir », monument installé à Nancy, place Maginot.

Un large contingent d’alsaciens installés là, après avoir choisi l’exil, y entretenait un fort ressentiment face à la situation des « provinces perdues ». D’où l’allure éplorée des personnages, dans la droite ligne de l’imagerie de l’époque.

Un lieu inhabituel

Presque naturelle à Nancy, la présence de ce duo bien particulier surprend davantage à Paray le Monial, bien loin des territoires d’Alsace ou de Lorraine, davantage concernés par le sujet.

Un groupe très symbolique

A Paray le Monial, toutefois, la mise en scène se veut très différente. Nous ne sommes plus dans le registre des regrets et des pleurs mais dans celui de la revanche.

Une plaque apposée au bas du monument, intitulée « LE RETOUR », vient d’ailleurs expliciter la scénographie du groupe: les deux personnages en costume régional font face à un soldat en uniforme de la guerre 14-18, l’ensemble symbolisant le retour de l’Alsace et de la Lorraine dans le giron français après la Première Guerre.

On retrouve ici les principes de l’esprit patriotique existant après les combats de la Première Guerre Mondiale.

Un premier mémorial

Le porte-drapeau en uniforme 1870 domine la scène.
C’est par la présence du soldat en uniforme de la guerre de 1870-71, présent au sommet du monument, que la scène prend tout son sens.

Un premier monument, où ne figurait que ce soldat, fut érigé et inauguré en 1900. (A noter qu’un monument comportant une statue identique existe à Taninges en Savoie, à Beaumont-de-Lomagne dans le Tarn et à Limoux dans l’Aude ainsi qu’à Epieds dans la Beauce).

Il est à noter que les monuments commémorant ce conflit sont plutôt rares sur le territoire, faisant souvent tomber dans l’oubli le souvenir de cet épisode sanglant de notre Histoire.

Un monument en deux temps

Après la Grande Guerre, l’idée fut avancée d’ajouter à ce monument le nom des victimes de 14-18.

Le projet fit l’objet d’un concourt qui eut pour résultat le réemploi et l’agrandissement du monument initial. (C’est le projet de Mr. Pierre CURILLON, (1866-1952), sculpteur installé à Paris mais originaire de Tournus, qui sera choisi).

Le monument initial, tel qu’il se présentait au début du siècle.

Une scénographie particulière

Sa réalisation était novatrice, prévoyant de faire le lien entre la guerre de 1870-71, à la suite de laquelle l’Alsace et la Lorraine avaient été intégrées au Reich allemand, et le résultat des combats de 14-18, permettant le retour de ces deux régions au sein des territoires français.

D’où l’ajout, à l’avant, du groupe de personnages en bronze représentant un soldat de la Grande Guerre ramenant aux pieds du vaincu de 1870, l’Alsace et la Lorraine enfin libérées.

L’ensemble se voulait une référence directe à l’imagerie en vogue à l’époque, utilisant le thème fédérateur de l’alsacienne et de la lorraine entourant le soldat vainqueur.

Déplacé à proximité de la basilique, le monument transformé sera inauguré en 1923.

Un exemple des représentations patriotiques qui circulaient à l’époque.

Les personnages féminins

 

L’alsacienne serre dans ses mains une couronne de laurier, en symbole de victoire, tandis que la lorraine tient la palme du martyr, en référence au soldat au-dessus d’elle.

 

Le personnage de l’alsacienne se reconnaît de loin grâce au nœud de ruban qui la coiffe. Raison sans doute pour laquelle elle est placée sur le devant, mettant en retrait sa compagne une peu moins iconique.

Les deux figures féminines sont représentées serrées l’une contre l’autre, levant les yeux de manière expressive vers le soldat debout sur son socle.

 

 

 

Le soldat

Face à elles, le soldat de la guerre 1914-18 se tient debout, les yeux également levés. Du geste, il présente ses compagnes au soldat au sommet du mémorial. Son attitude est calme, le visage serein.

L’ensemble est empreint d’une certaine gravité, en accord avec la symbolique de l’instant représenté.

Une mise en scène très symbolique

Mise en place aux lendemains de la Première Guerre mondiale pour rappeler la finalité du conflit, cette scène est emblématique de l’esprit de revanche qui prévalait à cette époque.

 

* à noter l’inscription sur le socle: « Paray le Monial à ses enfants dont le glorieux sacrifice sauva nos foyers de l’invasion barbare et restaura l’unité de la Patrie 1914-1918 » figurant à l’avant du monument et qui fut martelée par l’occupant allemand lors de la Seconde Guerre Mondiale. Elle a depuis été restaurée et remplacée par :« Paray le Monial à ses enfants morts pour la France »

 

Le renforcement du sentiment patriotique

Faisant le lien entre la cruauté des combats de la fin du Second Empire et le sacrifice des « poilus » de la « Grande Guerre », l’image de l’Alsace et de la Lorraine rassemblées dans un mouvement d’hommage, se voulait fédératrice.

 

Il était opportun, à l’issue d’un conflit que l’on pensait le dernier, de mettre du baume sur la douleur des familles ayant perdu un proche dans la boue des tranchées et d’exalter le sentiment national autour de l’intégrité retrouvée du territoire français.

Ce qui n’allait pas totalement de soi, l’allant guerrier des débuts de la guerre ayant laissé la place à un profond sentiment de désolation au regard de l’hémorragie en hommes qui en était résulté.

Un monument pour tous les conflits

Détail émouvant, le monument de Paray le Monial ne se contente pas de regrouper le souvenir des morts de 1870-71 et ceux de 14-18.

Aux listes de ces soldats s’ajoutent celles des victimes de la Seconde Guerre Mondiale, civils et militaires mais aussi les déportés, résistants, membres des FFI et du STO.

 

Les morts en Indochine et Algérie sont également mentionnés.

 

Bien qu’il ne soit pas exceptionnel de voir figurer, sur les divers monuments présents sur le territoire français, les noms des militaires engagés dans ces différents combats, il est moins courant d’y trouver précisées dans le détail l’ensemble des pertes civiles.

Un thème bien peu exploité

Curieusement, bien que la thématique des provinces perdues puis revenues à la France ait fait l’objet, comme on l’a vu précédemment, d’une importante production iconographique, elle n’a pas connu le même développement au niveau de la statuaire.

 

A Sainte Marie aux Mines, aux portes de l’Alsace, autre rare exemple du thème du « Retour » sur le monument aux morts.

 

Les exemples en sont même plutôt rares. Ce qui rend le monument de Paray le Monial d’autant plus intéressant par sa conception et le développement qui lui a été donné.

 

Une mémoire qui s’efface

Les passants  » passent », les enfants jouent auprès du monument. Combien en comprennent encore la symbolique ? Qui se rappelle encore les morts de 1870 et l’enchaînement des conflits dont cette guerre sanglante autant qu’inutile a été le déclencheur ? Prise entre deux feux, l’Alsace servit, bien malgré elle, de pomme de discorde et d’enjeu revanchard entre ses deux voisins.

Mais qui sait encore reconnaître, derrière l’aspect anecdotique de la scène, la portée profonde de ce qui est ici représenté ?

 

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Références

Mourir pour la patrie ? Les monuments aux morts d’Alsace-Moselle

Bernadette Schnitzler – Jean-Noël Grandhomme – Olivier Haegel – Lyon. Lieux Dits. 2016

Au revoir là-haut – Pierre Lemaitre – Editions Albin Michel 2013. (Disponible aussi dans le Livre de Poche.)

Liens

https://monumentsmorts.univ-lille.fr/monument/15044/paray-le-monial-place/

https://www.wikiwand.com/fr/Le_Souvenir

https://freresmartel.blogspot.com/p/monuments-aux-morts.html

http://frontdechampagne.over-blog.com/2016/06/catalogue-publicitaire-de-chez-rombaux-roland-1922.html

http://87dit.canalblog.com/archives/2020/05/22/38288085.html

https://histoire-image.org/fr/etudes/baiser-alsacienne

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