Barabli oder Regenschirm

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Une alsacienne avec un parapluie ? L’association est inattendue mais elle apparaît pourtant régulièrement dans l’iconographie régionale. Plutôt que de nous interroger sur un éventuel phénomène pluviométrique propre à la région, la présence de cet accessoire nous invite à découvrir des aspects surprenants du ″barabli″ alsacien et les rapports particuliers que cet objet entretient avec la culture alsacienne.

Un surprenant accessoire

Les débuts du 20ème siècle ont vu circuler bon nombre de photos, mettant en scène des alsaciennes en costume traditionnel.

 

Exemples de cartes postales mettant en scène le costume alsacien.

 

Les personnages féminins prenaient la pose en studio, parfois devant des décors peints reprenant les motifs des maisons à colombages.

Éditées le plus souvent sous forme de cartes postales, ces images étaient destinées à entretenir le souvenir de la province perdue, la coiffe noire et la jupe rouge restant les vecteurs principaux de cette imagerie.

Fermé Ouvert

 

Pour parfaire l’aspect paysan du sujet, divers accessoires étaient ajoutés tels que paniers et … parapluie, ce dernier accessoire venant sans doute accentuer aux yeux du public l’aspect rural du sujet.

Un ″Barabli″, qu’est-ce c’est ?

Pour les alsaciens, le mot ″barabli″ possède une saveur toute particulière.

C’est sous ce vocable que Germain Muller baptisa le cabaret bilingue qu’il fonda en 1946, en compagnie de son ami Raymond Vogel (1915 – 1988), directeur artistique de Radio-Strasbourg. 

Il expliquait ce choix par une anecdote : l’astuce utilisée lors de la Première Guerre mondiale par le chanoine Émile Wetterlé pour faire la distinction entre les prisonniers alsaciens ou allemands.

Leur montrant un parapluie, il leur demandait ″Wass esch dess ? ″ (Qu’est-ce que c’est ?). Ce à quoi les Allemands répondaient ″ein Regenschirm″. Au contraire des Alsaciens qui désignaient l’objet comme étant ″a Barabli″. (A prononcer avec l’accent, bien sûr !)

Logo du ″Barabli″, célèbre cabaret créé à Strasbourg par Germain Muller.

Pour Germain Muller, ce mot contenait tout le paradoxe de l’identité alsacienne.

 

Affiche promotionnelle pour le parapluie inventé en 1705.

L’ombrelle avant le parapluie

Inventé à Paris dès 1705 par un Français (Cocorico !), l’usage du parapluie resta longtemps limité à un public très citadin.    

Pour les femmes du peuple, il était nettement plus simple de remonter sa jupe sur sa tête en cas d’intempéries que de s’embarrasser d’un tel instrument !

En Alsace, comme ailleurs, c’est davantage du soleil que de la pluie que nos aïeux cherchaient à se protéger.

C’est pourquoi les élégantes l’utilisaient davantage comme une ombrelle, le but étant plus de se valoriser avec un accessoire de mode que de se protéger réellement des ardeurs du soleil. Il était d’ailleurs très chic de l’employer comme une canne pour accompagner la marche.

 

Dame à la promenade, utilisant son ombrelle comme une canne – Journal des Modes 1780
A Strasbourg, on fait comme à Paris ! – Frauenzimmer, édition de 1784 – Parution en langue allemande, à l’usage des dames.

 

Messieurs les Anglais

Très prisé des Parisiens, toujours friands de nouveautés et d’articles de mode, le parapluie mit curieusement un certain temps à conquérir l’Angleterre, pays pourtant largement soumis aux intempéries.

Jusqu’au milieu du 18è siècle, les habitants de la ″Perfide Albion″ préférèrent snober cette invention par trop française.

Selon un contemporain ″ceux qui ne veulent pas se confondre avec le vulgaire aiment mieux courir le risque de se mouiller que d’être regardés comme des gens qui vont à pied, car le parapluie est la marque de ceux qui n’ont pas d’équipage.″

En 1756, le philanthrope Jonas Hanway, de retour d’un voyage en France, fut le premier à oser déployer un parapluie dans les rues de Londres, devenant la risée des passants et la bête noire des cochers et loueurs de voiture.

Jonas Hanway, précurseur de l’usage du parapluie en Angleterre.

Le duc de Wellington voyait d’un mauvais œil l’usage de parapluies parmi ses officiers, décrétant que ces objets étaient ″non seulement ridicules mais portant atteinte à l’esprit militaire″.

 

Le roi Louis-Philippe avec son parapluie.

Un symbole bourgeois

Au 19è siècle, le parapluie se banalise et gagne en technicité.

Le roi Louis-Philippe (1773-1850) ne s’en séparait jamais, n’hésitant pas à se montrer déambulant à pied dans Paris, parapluie à la main.

Au point d’être surnommé ″le Roi-Parapluie″ par ses détracteurs !

Un engouement qui va se traduire par une déclinaison de modèles très divers. Ainsi, en 1801, apparaît  le ″rifflard″, du nom d’un personnage de théâtre ridicule arrivant sur scène avec un immense parapluie sous le bras.

Un modèle qui arrive à point nommé à une époque où le costume traditionnel entame son âge d’or, avec une diversification et un enrichissement des diverses tenues paysannes. Ce grand parapluie va se révéler très utile pour protéger en particulier les coiffes qui, un peu partout, prennent un volume de plus en plus important.

 

Deux modèles de parapluies parmi les plus utilisés dans les campagnes, avec manches en bois ou en bambou – Coll Part.
Rien ne vaut un bon parapluie pour se garantir de la pluie et protéger sa coiffe – Photographie de Charles Spindler.

 

Pour les classes bourgeoises , le parapluie se décline dans des matériaux luxueux, afin de mieux se démarquer du populaire.

 

Une robe de coupe citadine, un fin parapluie (ou ombrelle), autant détails mis en avant par cette fille de paysan ″riche″ pour afficher son statut social –  Lithographie de Joseph Wenker – BNU Strasbourg NIM01000
Poignée de parapluie en argent, fin 19è.

 

Élégant parapluie-ombrelle en soie rayée et manche gainé de cuir, fin 19è – Coll. Part.

 

L’alsacienne au parapluie

Une iconographie abondante démontre le succès du parapluie auprès des alsaciennes de l’époque. Lesquelles avaient sans doute autant le souci de protéger leur tenue que de se doter d’un accessoire qui resta longtemps assez coûteux.

Geudertheim-BNU-NIM27151-
Jeune paysanne de Kapsweyer, allem.limitrophe frontière- Schuler-1858-BNU Strasbourg-77.985.0.1522 (Inv. CE)
Joseph Wenker-Femme d'Esbach- NIM00873-
Jeune fille de Schwindratzheim-August Kassel ds Über elsässische Trachten- Strasbourg- 1907
Ouvrir la galerie d'imagesDébordant du domaine ethnographique, l’alsacienne au parapluie devint un sujet privilégié pour les illustrateurs alsaciens du début du 20è siècle, tels que Paul Kauffmann ou Hansi.

Jeune fille et femme de Schleithal se rendant au marché. En arrière plan, jeune fille en costume catholique de Bischoffsheim – Paul Kauffmann.

 

On se prépare pour l’office du dimanche et on n’oublie pas son parapluie – Dessin de Hansi.

Ceux-ci l’utilisèrent comme un attribut pour compléter la mise en scène de leurs personnages et accentuer l’aspect ″authentique″ de ce type d’imagerie.

 

Un p’tit coin d’Barabli…

Depuis quelques années, plusieurs communes ont trouvé une utilisation toute nouvelle au parapluie.

Déployés en décoration d’un genre nouveau, ils forment une voûte joliment colorée au-dessus des rues, leur apportant un léger ombrage et une indéniable impression de gaieté.

Rue principale à Masevaux (Haut-Rhin)

Un réemploi qui vient moderniser l’image un peu vieillotte du ″barabli″ de nos grands-mères.

 

 

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Documentation

  • Paul Kauffmann – l’Alsace traditionnaliste – 1931
  • Charles Spindler – Ceux d’Alsace – réédition de 2010 – Barbara Gatineau avec préface de François Igersheim – Editions Place Stanislas

Liens

https://fr.wikipedia.org/wiki/Germain_Muller

https://www.ulyces.co/news/le-premier-anglais-a-avoir-utilise-un-parapluie-sest-fait-couvrir-dinsultes-et-dordures/

https://www.aprogemere.fr/documents/dossiers/Nantes_Parapluies.pdf

https://www.numistral.fr/fr/tresors/paul-kauffmann-1849-1940-un-illustrateur-amoureux-de-lalsace

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1 commentaire
  • Annick Meyer
    3 octobre 2024

    Encore un article intéressant ! Comme quoi même le parapluie est sujet à agrémenter ce blog. Bravo!
    Je n’y aurai pas pensé !!!