La recherche de la particularité
Particulièrement reconnaissables, les rubans de couleur ivoire représentent le modèle de diversification le plus abouti des coiffes du Kochersberg. Ils sont le résultat de la démocratisation des productions textiles qui, au 19è siècle, ont introduit dans les campagnes des moyens nouveaux avec, à la clé, une accentuation des particularismes locaux.
Amplifiés, magnifiés, ceux-ci ont pris une dimension identitaire de plus en plus appuyée.
Des rubans très catholiques
Dans le Kochersberg, où catholicisme et protestantisme coexistent, c’est à travers les rubans fleuris des jeunes filles que s’est exprimée, entre autres, l’identité catholique.
A Truchtersheim, Wiwersheim et Willgottheim, cette appartenance est tout spécialement représentée par des coiffes surmontées de rubans bordés de bleu azur, en signe de piété mariale.
Cette typologie bien particulière, qui permet de leur assigner une localisation précise, est assez exceptionnelle. Celle-ci s’avère en effet plus floue en ce qui concerne les autres rubans fleuris à fond noir ou à motifs écossais.
Des rubans moins connus
Malgré leur impact visuel indéniable, les rubans fleuris apparaissent assez rarement dans l’iconographie générale de la région et sont, de ce fait, moins connus du grand public.
Les peintres régionalistes de la fin du 19è siècle se sont davantage concentrés sur les costumes du pays de Hanau, région à forte identité protestante où femmes et filles portaient majoritairement des coiffes garnies de rubans noirs. D’où leur prédominance dans l’imagerie générale alsacienne.
Des fleurs imprimées
L’une des spécificité de ces rubans à fond ivoire tient au fait que leurs motifs sont imprimés sur la soie et non pas tissés.
Autre particularité: leurs bordures colorées qui se déclinent en divers coloris. En plus du bleu clair, déjà mentionnés, celles-ci peuvent être rouge foncé, violet ou brun, teintes qui mettent particulièrement en valeur les motifs qu’ils délimitent. Ils s’inscrivent dans la même aire géographique que ceux à bords bleus et demeurent l’apanage des jeunes filles catholiques.
Ce qui les différencient également des autres rubans fleuris à fond noir dont les bordures contrastantes sont souvent ajoutées et cousues sur les bords.
Des motifs fleuris
Le thème de ces motifs est exclusivement floral : semis de roses, tulipes, pivoines ou fleurs champêtres.
Le thème du coquelicot et du bleuet, mêlés aux épis de blé, revient souvent, sans toutefois constituer une norme.
Ci-contre : motif de rubans et roses en bouquets, disposés en rinceaux sur le fond blanc Musée de Truchtersheim.
L’un des plus beaux, et sans doute l’un des plus emblématiques de ces rubans, a été magnifiquement révélé au grand public à travers l’ouvrage de Marguerite Doerflinger, édité par la SAEP en 1979.
L’ensemble du motif est d’un grand raffinement, les teintes délicates des pivoines botaniques, , roses pâles et rouges, se mêlant à celles des feuillages et des bouquets de campanules et d’œillets.
Ce splendide ruban connaît quelques très belles variations:
Des bordures tissées
Raffinement supplémentaire apporté au ruban: les bordures qui sont ici tissées, présentent un effet satiné contrastant, jouant sur la différence entre le fil de chaîne et la trame générale de la soie. (Coll. Costumes d’Alsace.)
Des motifs très fragiles
Est-ce le fait d’être imprimés qui les rend plus fragiles ou bien faut-il mettre en cause les colorants utilisés pour leur impression ?
Les rubans fleuris sur fond noir semblent avoir mieux résisté au passage du temps. Peut-être parce que leurs motifs ne sont pas imprimés mais intégrés dans le tissage.
Un témoin intéressant
Un ruban, conservé au musée de Truchtersheim, met en relief une autre problématique.
Le fond de soie claire apparaît fortement imprégné d’une tonalité rouge, résultat d’une ancienne tentative de lavage. La couleur rouge du bandeau a ainsi fusé dans la partie blanche de la soie, les motifs apparaissent délavés.
Il semble que les procédés utilisés pour fixer les couleurs étaient très artisanaux, ce qui a pu influer aussi sur la pérennité des motifs imprimés.
Des lieux de productions retrouvés
Le fait qu’ils soient en soie plaidait pour une origine lyonnaise, la ville de Lyon étant considérée comme le berceau du tissage de la soie en France.
Des recherches très récentes permettent de les replacer dans la région de Saint-Etienne et plus spécialement en Haute Loire dans les Monts du Forez où la fabrication française de rubans s’est épanouie au 19è siècle.
Le Musée des Arts et Techniques de Saint Etienne conserve une importante collection de catalogues d’échantillons qui démontrent l’extraordinaire productivité des divers ateliers ou manufactures répartis dans la région.
Un précieux modèle
Parmi tous ces échantillons, ceux utilisés en Alsace sont facilement identifiables.
Grâce à lui, il est possible d’établir de manière tout à fait explicite le lien entre les deux régions.
Comme d’autres rubans de même facture, ce motif a été décliné avec des coloris de bordures différents, non seulement bleus, comme sur l’échantillon original mais aussi rouge ou violet, sans que le dessin central en soit modifié.
Haut : Coll. Part
Bas : Coll. Costumes d’Alsace
Une production abondante et diversifiée
La diversité des motifs proposés témoigne de l’intensité des échanges commerciaux entre les centres de production et le marché alsacien.
Lequel semblait avoir été suffisamment important pour permettre le renouvellement des produits présentés, l’offre trouvant visiblement une clientèle régulière.
Le savoir faire des artisans rubaniers a ainsi permit au costume alsacien d’élaborer ses coiffes les plus spectaculaires, transformant de simples produits manufacturés en de magnifiques symboles identitaires.
à suivre …
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Un grand remerciement aux musées et collectionneurs privé, en particulier:
– Marie-Claire et André Burger, de la Maison du Kochersberg à Truchtersheim, pour leur soutien inlassable,
– A Erwan, de Costumes d’Alsace, pour ses photos et la confiance qu’il m’accorde,
– A Jacky Foorler, pour les prêts iconographiques et les renseignements prodigués.
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Documentation:
- Georges Klein – Trésors du Patrimoine Traditionnel d’Alsace – Editions Jean-Pierre Gryss
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Marguerite Doerflinger – Découverte des Costumes Traditionnels en Alsace – Editions S.A.E.P
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Marguerite Doerflinger – Le livre d’heures des coiffes d’Alsace – Editions Oberlin – Strasbourg. 1981
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C. Bertrand – L’industrie du ruban en Haute-Loire – article dans Les Etudes Rhodaniennes – 1934
- Gérard Berger – Serrurerie, armurerie, rubanerie, dentelle – Du travail à domicile à l’usine dans le pays de Saint-Bonnet-le-Château (XVIIIe-XXe siècle) – Centre social de Montbrison Editeur
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Liens
https://www.auxpaysdemesancetres.com/pages/champagne-ardennes/bas-rhin-67/pfettisheim.html
https://www.soierie-vivante.asso.fr/patrimoine/un-peu-histoire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_soierie__Lyon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_rubanerie_A_Saint-Etienne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mus%C3%A9e_d%27Art_et_d%27Industrie_de_Saint-%C3%89tienne
https://www.le-pays.fr/france-monde/actualites/lindustrie-a-la-campagne_13608199/
Colette Ravier
30 décembre 2023Merci ! Comme c est interessant !
J ai justement un ruban large fleuri et bordé de bleu tendre…
Il me vient de ma grand- mère alsacienne.
Est ce qu ‘ on.peut le laver à l eau ou au nettoyage à sec ?
Je suis créatrice et voudrais l intégrer à des créations. Je pourrais imprimer l histoire de ce ruban et le joindre au vêtement…
Jocelyne Rueher
3 janvier 2024Il ne faut surtout pas laver ces rubans ! Il y a une photo dans l’article de l’un de ces rubans qui a été lavé. Les couleurs n’en sont absolument pas stables et je ne sais pas non plus si un nettoyage à sec peut être effectué pour enlever les tâches. Si vous avez une photo du motif, ce serait intéressant à ajouter à l’article. Merci !
Annick Meyer
8 décembre 2023Comme toujours…. sublime et recherches intéressantes. Bravo!