
Une particularité remarquable
La collerette est un élément remarquable du costume alsacien et représente une véritable spécificité, au regard d’autres régions françaises d’où elle a disparu très tôt…
Une opposition qui n’est pas sans rappeler les portraits hollandais du 17è siècle où la blancheur des collerettes de dentelle précieuse tranchait sur la somptuosité austère du reste de l’habillement.


Une parenté qui n’est d’ailleurs pas fortuite puisque leur origine est identique.
Des débuts en petit format
L’iconographie permet de suivre les étapes de son évolution, dans les premières décennies du 19è siècle, à partir d’une pièce de toile de format réduit, entourant le cou.

Placée sur la partie haute de la chemise, son rôle est alors plutôt fonctionnel et sert essentiellement à masquer l’échancrure de la chemise et la petite partie nue que celle-ci laisse autour du cou.
Elle est d’allure discrète, l’accent étant mis sur les rubans de couleur vive, noués en rosette sur le plastron et les attaches du corsage, en un ensemble visuel très particulier.

(Redécouvrir ici l’apparence de ce costume dans les débuts du 19è siècle.)
Un costume qui se transforme
Au milieu du 19è siècle, commence l’âge d’or du costume rural. Pour la première fois de son histoire, il s’écarte de la mode citadine parisienne et se développe suivant ses propres standards.
Des apports qui viennent transformer, magnifier les costumes populaires selon un processus identique à celui d’autres régions françaises et européennes.
Plusieurs pièces du costume vont en profiter pour connaître un développement particulier:
– La coiffe bien sûr, qui commence sa métamorphose.
– Le vorstecker (plastron) dont la forme évolue en parallèle avec celle du corsage. A retrouver ici.
– La collerette qui, de simple ″linge de cou″, va également changer de dimension.

En peu d’années, la collerette va changer d’aspect, passant d’un élément discret à une pièce beaucoup plus décorative, désormais indissociable de la tenue.
Les dentelles de son pourtour s’élargissent. Un changement de dimensions qui va avoir un impact décisif sur l’aspect général du corsage: les bretelles, recouvertes par ces dentelles, vont perdre le décor de rubans qui les ornaient, modifiant conjointement l’allure du plastron.
Le passé revisité
Le 19è siècle, qui voit l’essor des techniques et de la mécanisation, est aussi celui de la grande redécouverte des époques historiques précédentes.
Le style troubadour puis le né-gothique, mouvements artistiques qui apparaissent dans les débuts du 19è siècle, proposent une vision très revisitée du Moyen-Âge et de la Renaissance plus ou moins tardive.
Une redécouverte qui influence autant les arts et techniques que les modes.
Mélangeant les époques et les lignes vestimentaires, les cols de dentelles et les fraises tuyautées, issus des 16è et 17è siècles, font leur apparition.
Une réactualisation des modes anciennes qui, de citadine, va influencer par la suite les tenues rurales.

Le col ″Berthe″
Parmi ces créations originales, l’une nous intéresse tout spécialement: la ″Berthe″. C’est le nom donné à un col de forme ronde, entourant le cou et recouvrant le décolleté de manière plus ou moins large.
Les historiens du costume ne se montrent pas très prolixes sur l’origine de cette appellation bien étrange, se contentant de mentionner l’existence de cet accessoire vestimentaire sans donner plus de détails.
Un médiéval au sens large puisqu’il mélangeait allègrement les époques.
La peinture, la littérature, entre autres, avaient habitué le grand public aux évocations épiques, donnant vie à des héros (et héroïnes) dans des contextes historiques plus ou moins fantaisistes.
Un imaginaire abondamment repris depuis par le cinéma et la bande dessinée.
Ce qui ne nous dit pas d’où est venue l’idée étrange d’associer le nom d’une reine du Haut Moyen-Âge à celui d’un article de mode du 19è siècle… ?
De la ville à la campagne
La collerette qui accompagne le costume alsacien illustre les influences exercées par les modes citadines sur les tenues rurales.
Les grands cols de dentelles portés dans les milieux urbains ont certainement joué un rôle dans l’évolution du petit ″manteau de cou″ des premières décennies vers une pièce plus ornementale.
Le changement de dimensions, l’enrichissement constant des broderies et dentelles utilisées, sont autant d’étapes ayant marqué cette transformation.
Des collerettes toujours plus belles

Dans la seconde partie du 19è siècle, la collerette alsacienne va profiter des créations dentellières dont la production et la diffusion s’intensifient suite à une demande accrue dans les milieux de la mode.
Des dentelles qui sont majoritairement tricotées (mais aussi crochetées), avec une variété de points et de motifs dont la sophistication témoignent du talent des ″petites mains″ qui les produisaient.

Entre broderies …
Certaines collerettes comportent de belles broderies sur la partie centrale en toile. Points brodés et ″jours″ y alternent en rangs superposés plus ou moins abondants.
et dentelles.
Sur certains modèles, l’empiècement de toile est totalement remplacé par des points de tricot ou de crochet.
Au point de rendre très ténue la différentiation entre collerette des villes et des champs.

Le début de la fin
Une similarité qui apparaît comme un aboutissement et qui, de manière peut-être contradictoire, sonne comme le début de la décadence pour le costume rural.
Dans les dernières années du 19è siècle, celui-ci peine à se renouveler et ne trouve d’autres ressources qu’à travers des emprunts de plus en plus réguliers à la mode citadine.
Au tournant du 20è siècle, l’attrait de la ″modernité″ va accélérer cette interpénétration avec l’introduction de nouveaux matériaux, tels que le tulle ou la broderie anglaise.
L’apparence et la forme de la collerette traditionnelle vont s’en trouver profondément modifiés.
à suivre …
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De vifs remerciements aux musées et collectionneurs privés pour les divers prêts iconographiques.
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Documentation:
- Histoire du costume – De 1800 à 1850 François-Marie Grau – Presses Universitaires de France – Collection ″Que sais-Je″ 2009.
- Dictionnaire raisonné du mobilier – Tome 3. Le costume médiéval – Eugène Viollet-le-Duc – Editions Heimdal (réédition)
- Histoire du Costume (en Occident de l’Antiquité à nos jours) – François BOUCHER – Éditions Flammarion 1965-1983-1991
Liens:
https://cdn.drouot.com/d/catalogue?path=coutau/26102016/Coutau_26102016_hd.pdf
https://fr.wikipedia.org/wiki/Style_troubadourhttps://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9B0909
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