
Une mode très citadine
L’adaptation aux nouvelles modes étant avant tout une affaire de pouvoirs et de moyens financiers, ce sont surtout les milieux urbains et les élites proches du pouvoir qui s’y conforment.
Colmar, après avoir longtemps fait de la résistance face aux volontés de conquêtes du Roi Soleil, se voit soumise au pouvoir royal en 1673, après le coup de force des troupes françaises du marquis de Louvois.
Devenue Ville Royale en 1679, elle voit s’installer dans ses murs le nouveau siège du Conseil Souverain d’Alsace en 1698, à la place d’Ensisheim.
Un statut qui conduisit les membres de la bourgeoisie locale à adopter des positions plus francophiles qu’à Strasbourg où le costume féminin de type ″allemand″ resta longtemps une manière toute particulière de résister au nouveau pouvoir en place.
Lire à ce propos : une Strasbourgeoise très allemande
Voltaire, après avoir séjourné à Colmar pendant une année, nous en livre des commentaires très contrastés. Il la décrit comme ″une ville mi-allemande, mi-française et tout à fait iroquoise…″
Une élégante bourgeoise
Une gravure datée de 1785 nous fournit une description intéressante du costume porté à cette époque à Colmar et sa région. Elle illustre l’adaptation de la mode française aux mœurs locales.
– Sur la tête, pas de haute perruque tape à l’œil (réservée à l’aristocratie) mais des cheveux poudrés à frimas sous une coiffe auréolée d’une fine dentelle tuyautée, d’un profil tout à fait spécifique à la ville.

(Plus de détails sur la coiffe de Colmar ici)

– Le très large tablier, qui cache tout la partie avant de la jupe, est aussi un ″standard″ de la mode alsacienne.
Un tablier que notre regard actuel interprète comme un simple attribut vestimentaire mais qui représente alors une partie importante du costume à laquelle les milieux alsaciens conservateurs se montrent particulièrement attachés.
Associé au large fichu, il vient tempérer ce que la tenue pourrait avoir de trop scandaleusement novateur. A eux deux, ils démontrent l’importance des conventions sociales dont seules les femmes de la haute société osaient alors plus ou moins se défaire.
(Lire aussi à propos du tablier.)
Une affaire de classe
Deux autres portraits viennent préciser les différences subtiles qui interviennent dans cette gestion des codes et apparences.
A gauche, c’est une petite bourgeoise du sud de l’Alsace qui est représentée. Son mari est Maître de Poste à Aspach-le-bas (au sud de l’actuel Haut-Rhin), ce qui le place au niveau des notabilités locales.
Mais si sa position de bourgeoise lui permet de porter une robe à la Polonaise à la dernière mode, le reste de sa tenue est davantage en conformité avec la mode allemande, comme en témoignent le large fichu couvrant le décolleté et le tout aussi large tablier (dont on devine les plis) sur le devant de sa robe.
Elle a également gardé sa précieuse coiffe dorée à l’allemande, attribut localement indispensable pour affirmer son rang social.
A droite, un portrait anonyme de ce qui paraît être une grande bourgeoise ou une aristocrate strasbourgeoise. Du moins si l’on en juge d’après les cheveux poudrés et coiffés haut (peut-être une perruque) et surtout le précieux schnepper posé dessus. Lequel est caractéristique de la haute bourgeoisie protestante de Strasbourg. (Également présent sur le portrait de Mme Sorg présenté plus haut)
La robe, taillée dans un riche tissu de soie ou de brocart à motifs de lampas, comporte des manches évasées, dites en pagode accompagnées de manchettes de dentelles appelées engageantes, selon la mode parisienne. Si le fichu est bien présent, le tablier, lui, a disparu.
La comparaison entre les deux portraits laisse deviner une différence de revenus comme de milieu social, d’où une liberté plus grande face aux conventions vestimentaires.
(Lire aussi : la mode française revisitée.)
Une mode très parisienne
La robe dite à la Polonaise, mentionnée plus haut et que semblent donc porter nos bourgeoises alsaciennes, est apparue autour des années 1780. Le succès de cette robe lui a valu de connaître un large développement un peu partout en Europe et de rester en vogue jusqu’à la Révolution.
Elle se caractérise par un manteau de robe constitué d’un corsage ouvert en pointe depuis le haut du buste pour s’évaser ensuite sur les hanches .
Sur le milieu de la poitrine, un gros nœud de ruban (ici absent) venait compléter la physionomie particulière de cette robe.


La partie arrière est remontée sur la jupe au moyen de cordons, avec une répartition du volume en trois parties. Ce qui permettait de retrousser les pans plus ou moins haut sur les reins, avec un effet juponnant très caractéristique.
La dénomination de Polonaise serait une référence au partage en trois de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l’Autriche, en 1772. Une interprétation qui est toutefois contestée par certains historiens du costume.
Une mode venue des milieux populaires
La silhouette dessinée par cette mode prend son inspiration dans ce que l’on pourrait appeler ″le domaine public″.
En effet, avec sa jupe raccourcie et son manteau de robe remonté sur l’arrière, elle copie l’allure des femmes des milieux populaires, habituées à porter leurs jupes de cette manière pour ne pas en souiller l’ourlet.
Comportement relayé par les domestiques des grandes maisons, contraintes elles aussi de porter relevées les robes qu’elles recevaient en gages de la part de leurs maîtresses.
La Polonaise et ses variantes
Les modes de la fin du 18è siècle ont fait preuve d’une grande volatilité.


Le succès de la robe à la Polonaise lui a valu de connaître de nombreuses variantes, se déclinant dans des versions plus ou moins longues, le manteau de robe se raccourcissant parfois à l’extrême, jusqu’à prendre la forme d’un caraco.
Découvrir ici une variante alsacienne d’un des ces caracos.
Un engouement qui a influencé fortement la forme des autres modèles de robes, certaines étant retransformées pour y ressembler. Au point qu’il est parfois difficile de faire la distinction entre une ″vraie″ Polonaise, remontée sur les reins, comme décrit plus haut, et une robe à la Française dont les plis arrière sont portés remontés, voire même coupés pour former un Pet en l’Air. Une expression très imagée qui désignait ces manteaux de robes coupés à mi-dos.

Les portraits des dames alsaciennes de l’époque démontrent leur intérêt pour ces modes nouvelles mais aussi les aménagements qu’elles y ont apportés.
Ce qui laisse apparaître l’image une société aisée, soucieuse de tenir son rang en suivant au plus près les évolutions de la mode parisienne, tout en veillant à rester fidèle malgré tout à ses propres codes sociaux ainsi qu’aux éléments s’y rattachant.
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Quant à notre élégante Colmarienne, elle nous laisse sur un petit mystère: nous ne saurons jamais qu’elle est la version de sa robe. ″ Vraie″ Polonaise ou Pet en l’air à la française … ?
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Documentation
- Jules QUICHERAT – Histoire du Costume en France depuis les temps les plus reculés jusqu à la fin du XVIIIe siècle – Librairie Hachette – Paris. 1877
- André Blum – Histoire du costume : les modes au XVIIe et au XVIIIe siècle – Librairie Hachette – Paris. 1928
- Marguerite Doerflinger – Le livre d’heures des coiffes d’Alsace – Éditions Oberlin – Strasbourg. 1981
- Le costume Français – Ouvrage collectif – Éditions Flammarion – Paris. 1990.1996
- Daniel Roche – La culture des apparences – une histoire du vêtement (XVIIe -XVIIIe siècle) – Éditions Fayard, coll. Point Histoire, Paris 2007
Liens
https://fr.wikipedia.org/wiki/Colmar
https://www.archi-wiki.org/Adresse:Maison_%22Voltaire%22_(Colmar)
https://tempsdelegance.com/polonaise-making-of/
https://www.fnarh.com/files/Cahiers_FNARH_93_Marchand_maitres_Poste.pdf
Célia housset
18 février 2025Terriblement intéressant comme d’habitude! Merci pour ce post pleins d’explication et d’images qui permettent de bien visualiser chaque détail!