L’élégante redingote des messieurs

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La redingote masculine traditionnelle, telle qu’elle est portée par les alsaciens, est une survivance surprenante des modes de l’Ancien Régime. Alors qu’au milieu du 19è siècle, le costume traditionnel acquiert ses lettres de noblesse, il se montre en bien des points curieusement attaché aux anciens standards vestimentaires. Un comportement qui illustre la manière dont le costume rural s’est écarté de la mode officielle pour suivre ses propres modèles.

 

En Alsace, dans les territoires préservés par l’industrialisation et où le costume traditionnel va se développer le plus longuement, la tenue masculine est restée longtemps fidèle à une typologie vestimentaire bien particulière, très imprégnée par les modes de la fin du 18è siècle.

 

Ancien costume de Geispolsheim, avec redingote et culotte à la française – Aquarelle de Charles Spindler – BNU Strasbourg NIM00958

 

La redingote alsacienne se porte ouverte sur le gilet, tout comme l’habit à la française, une longue série de boutons venant ici aussi souligner la ligne arrondie de son ouverture.

C’est dans la forme des basques, plus longues et venant battant les mollets, que se devine l’influence de la redingote à l’anglaise, apparue en France dans les dernières décennies précédant la Révolution.

La redingote en est l’exemple le plus notable, son apparence tenant davantage de l’habit à la française de l’Ancien Régime que de la Redingote proprement dite.

Se remarquent en particulier la presque absence de col, une ligne d’épaules peu marquée, des revers à gros boutons au niveau des poignets ainsi que sur la grande poche horizontale de coté.

 

L’Habit à la Française, avec veste longue ouverte sur le gilet et culotte arrêtée au genoux – Claude Perrier – Étude de costume d’homme – 1788.
La redingote anglaise est une sorte de ″pardessus″ que l’on ajoute sur les vêtements pour les protéger – gravure anglaise de 1802.

Un emprunt à l’Angleterre

 

A l’origine, la redingote est un vêtement de dessus, d’allure ample, utilisée par les cavaliers anglais pour se protéger de la pluie et des salissures.

Un ″riding-coat″ (littéralement manteau d’équitation) qui s’est francisée sous le vocable de ″redingote″ en passant le Chanel.  

Un changement de style …

 

En arrivant en France, la redingote anglaise influence fortement l’allure des vêtements masculins, en particulier celle de la veste.

 

Les danseurs de menuet – le costume au 18è siècle – Gravure anglaise

Celle-ci se simplifie et perd son aspect ″juponnant″ sur l’arrière. Les basques se rallongent, prenant un aspect plus droit.

 

 

 

Costume homme vers 1740, à larges basques sur les hanches – National Gallery of Victoria – Melbourne

 

Habit à la Française avec des basques simplifiées – 1790 – Musée Galiéra – Paris

et un changement d’époque

Dans les débuts du 19è siècle, à la suite des bouleversements politiques de la Révolution puis de l’Empire, les styles vestimentaires se trouvent profondément transformés.

Les tenues d’hommes abandonnent les brocards, satins et broderies, à la mode dans les dernières décennies, au profit d’étoffes plus sobres. La culotte à la française est également abandonnée pour le port du pantalon droit.  

La veste masculine adopte une forme intermédiaire, entre habit à la française et redingote, conservant de cette dernière le col avec revers plus ou moins larges.

 

La redingote de la fin du 18è siècle avec la culotte à la française – gravure de 1792.

La version début 19è siècle, accompagnée du pantalon – gravure de 1813.

Il en résulte ce qui va devenir le manteau, vêtement ample, plus ou moins cintré à la taille, toujours accompagné du pantalon long, la culotte à la française disparaissant du paysage citadin pour ne plus être portée que dans les campagnes.

 

Le Costume Parisien – gravure de 1827.
Le pont de l’Europe (détail)1876 – Gustave Caillebotte – Collection Petit Palais – Genève.

Une évolution qui précise le basculement du costume masculin dans l’ère moderne et industrielle mais aussi la bifurcation qui s’opère un peu partout en Europe entre mode ″officielle″ et tenues régionales.

 

Un costume très ″vielle France″

Loin des bouleversements de la mode parisienne, la silhouette du paysan alsacien du milieu du 19è siècle garde un ancrage très fort avec les tenues de l’Ancien Régime.

Redingote et culotte à la française vont de pair pour dessiner une silhouette qui va traverser le siècle sans grand changement, le pantalon n’étant adopté que très tardivement.

 

A la fin du 19è siècle, la redingote reste une tenue appréciée dans les villages – Hommes de Engwiller (père et fils ?) en 1903 – BNU Strasbourg NIM12863

 

Gustave Adolphe Jundt – Jeune homme en tenue de garçon d’honneur, portant redingote et culotte à la française – 1876

 

Une iconographie abondante fait état de cette prédilection pour des formes vestimentaires qui apparaissent comme de véritables archaïsmes, en comparaison de ce qui se porte à la même époque dans les milieux urbains.

 

Une fidélité qui n’est pas limitée au costume alsacien. Elle se retrouve dans toute l’Europe et peut se lire comme une résistance du monde rural face à une industrialisation qui bouleverse les équilibres sociaux.

 

Jamais sans mon tricorne

L’image de cette redingote est complétée par l’indispensable ″Nawelschpalter″ (le fendeur de brouillard) auquel les alsaciens se montrent également très attachés.

 

Charles Heimrich – paysan du Kochersberg – BNU Strasbourg NIM22710.

 

Costume du Kochersberg au milieu du 19è siècle.

Hérité lui aussi de la mode du 18è siècle, ce chapeau à trois pointes (d’où son nom !) varie de taille et d’allure en fonction de l’époque, du village ou simplement de la richesse personnelle de son propriétaire.

Charles Spindler – Paysan de Mietesheim – NIM00948 BNU Strasbourg

 

Charles Spindler – Promenade sur le chemin de Bouxwiller, tricorne en tête et redingote sur le bras – BNU Strasbourg NIM27698.

Associé à la longue redingote, ce couvre chef bien particulier fera longtemps partie du costume du dimanche des paysans alsaciens, leur dessinant une silhouette empreinte d’une discrète élégance.

Les artistes alsaciens s’en feront volontiers les témoins, leurs dessins ou photographies nous livrant la vision d’un monde en pleine mutation.

En se modernisant et en adoptant la veste courte et le chapeau plat à bord rond, le costume traditionnel masculin, a perdu cette allure toute particulière que la longue redingote, accompagnée de son tricorne, donnait aux messieurs.

 

à suivre …

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Documentation

  • Costumes et coutumes d’Alsace – A Laugel et Ch. Spindler – Éditions Alsatia 1975
  • L’Alsace traditionaliste – Paul Kauffmann – Librairie union, 1931 (réedité par Les Editions Braun, 1987.)
  • Couleurs & Lumières d’Alsace – Libre regard sur les artistes peintres alsaciens – Pascal Jung et Jean-Claude Wey – Éditions Les Petites Vagues, 2009.
  • Christian Kempf et Michel Loetscher – Une Alsace 1900, photos de Charles Spindler – Éditions Place Stanislas – 2011

Liens

https://www.linternaute.fr/expression/langue-francaise/17131/habit-a-la-francaise/

https://www.diktats.com/collections/illustrations-de-mode-18e-siecle?page=3

https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/palais-galliera/oeuvres/habit-a-la-francaise-gilet-et-culotte#infos-principales

https://fr.wikipedia.org/wiki/Redingote

https://fr.wikipedia.org/wiki/Manteau_(vêtement)

 

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2 commentaires
  • Annick Meyer
    17 novembre 2024

    toujours très intéressant et richement documenté… merci et bravo !

    • Jocelyne Rueher
      19 novembre 2024

      J’ai gardé le souvenir d’une belle redingote grise et de l’homme élégant qui la portait …