Une rare jupe rouge
Omniprésente dans l’imaginaire collectif, la fameuse jupe rouge représentée à l’envie sur les cartes postales des années 1900, apparaît curieusement peu présente au sein des collections muséales ou privées.
Comment expliquer une telle différence, laquelle vient presque contrecarrer l’image quasi iconique que l’on se fait de ″l’alsacienne″ traditionnelle.
Dans un premier temps, il faut se rappeler que cette fameuse jupe rouge coquelicot n’était généralement portée que par les femmes de confession catholique.
Une presque absence très surprenante et qui tranche avec les nombreuses autres jupes, d’autres couleurs, que l’on y trouve.
Si l’on excepte les pièces de type ″Libération″, d’une allure souvent très fantaisiste, les tenues à jupes rouges réellement authentiques sont peu nombreuses, contrairement à celles d’autres coloris.
A l’observation, le tissu de ces jupes se révèle d’une texture différente de celui attribué aux autres confessions. Il est souvent moins épais et d’un tissage plus serré. Une qualité moindre qui a peut-être influé sur leur conservation ultérieure.
A moins qu’il ait été d’usage, dans les communautés catholiques, notoirement plus pauvres, de faire ″durer″ davantage les vêtements. La présence de fratries plus nombreuses encourageait sans doute la transmission d’un enfant à l’autre des pièces vestimentaire, limitant d’autant les possibilités de conservation.
Autres communautés, autres spécificités
Constitués d’un mélange de laine (trame) et de lin (chaîne), ce tissu est couramment désigné sous le nom de ″bombasin″, terme surprenant puisqu’il ne correspond pas à la définition exacte du bombasin qui est celle d’un mélange de soie et de laine.
Une confusion difficile à expliquer mais dont l’origine repose peut-être sur le principe d’utilisation de deux fibres différentes pour confectionner ce textile.
Ces jupes se remarquent par leurs couleurs franches, le plus souvent vertes mais aussi bleues ou violettes, voire rouges, plus rarement brunes. Sans oublier le noir, couleur de deuil dans les deux confessions.
L’adoption par les femmes protestantes de jupes de couleur rouge résulte souvent de la présence des deux confessions au sein d’un même village, une proximité qui pouvait faciliter ces échanges.
Lequel pouvait également s’opérer par transfert territorial, comme par exemple à Engwiller, intégralement de confession luthérienne, où la jupe rouge a été ″importée″ par quelques femmes venues du village voisin de Uhrwiller où résidaient des catholiques.
Il se dit également que la couleur des jupes était dictée par le calendrier liturgique.
Ce qui implique des moyens financiers qui n’étaient peut-être pas ceux de toutes les femmes mais suggère, au niveau des communautés protestantes, un niveau de vie général assez élevé.
Et explique peut-être aussi leur présence en plus grand nombre au sein des collections actuelles.
Des variantes plus ″riches″
Les plus fortunées optaient pour des versions de qualité supérieure, en satin uni ″Sàtechin″ (satin de Chine en dialecte).
Démocratisé par l’essor textile du 19è siècle, ce tissu impliquait un montage différent des plis canon afin d’en augmenter le volume sur l’arrière. Ces jupes étaient souvent doublées.
(Lire article sur les plis canon ici)
Manquant souvent d’épaisseur. ils demandaient eux aussi l’ajout d’une doublure pour donner plus de corps à l’ensemble de la jupe et faciliter le montage des plis.
Encore plus chic !
Quelques rares exemplaires de jupes sont taillés dans du chintz, tissu de coton à l’aspect glacé très particulier. Une apparence obtenue grâce à un procédé spécifique appelé calandrage visant à donner au tissu une finition brillante, imitant l’effet de la soie.
Son emploi apparaît cependant très marginal, les jupes en chintz étant non seulement rares mais, pour certaines, coupées dans un style très particulier qui interroge quant à leur attribution et leur datation.
Ce tissu coûteux semble n’avoir servi que pour des jupes de type ″protestant″.
De la ville à la campagne
La proximité de la grande ville influait aussi sur l’aspect de la jupe.
C’est particulièrement vrai dans le Kochersberg, où, toutes communautés confondues, le costume apparaît souvent doté d’apports extérieurs, créant ainsi des assemblages variés, venant brouiller les identités.
Des interactions qui se sont accentuées au tournant du 20è siècle, avec l’affaiblissement des codes vestimentaires et des obligations sociales.
Il n’est ainsi pas rare de voir à la fin du 19è siècle, des tenues rurales comportant une jupe de provenance citadine montée sur un corselet de coupe traditionnelle. C’est parfois une robe toute entière qui, par attrait de la modernité, remplace la tenue d’origine.
Un mixage qui complique la lecture des documents iconographiques et demande une observation attentive pour identifier une tenue et la replacer dans son contexte.
D’autant qu’au fil du temps, certains détails ont aussi évolué, venant compliquer les attributions.
Les emprunts aux jupes citadines ont modifié les formes, les longueurs. Les rubans et galons ont changé de place, d’allure ou de dimensions au gré de l’évolution des modes et des nouveautés rapportées depuis la ville.
D’une standardisation à l’autre
Retranscrire de nos jours cette diversité s’est avéré complexe.
Une catégorisation s’est mise en place avec, d’un coté, le costume dit ″catholique″ et de l’autre, le costume dit ″protestant″. Avec à l’appui quelques codes distinctifs destinés à les rendre bien identifiables.
Ceux concernant la jupe arrêtèrent le principe d’une jupe longue et rouge pour les catholiques, avec un mince galon noir à la base, une plus courte pour les protestantes (mi-mollets), les couleurs admises étant le vert, le bleu, le violet ou le rouge. Sans oublier pour ces dernières, un galon fleuri à 10cm au-dessus de l’ourlet. (Lire à ce propos les précisions concernant la forme du corselet.)
Un ensemble de critères qui avaient l’avantage de structurer l’apparence des costumes mais effaçaient du même coup une bonne partie des singularités existant à l’intérieur de ces deux groupes.
Des codes mal maitrisés
Avec le temps, ces critères distinctifs se sont dilués et beaucoup des costumes présentés au public sont devenus peu identifiables.
Beaucoup des tenues actuelles présentent des hauts identiques, parfaitement interchangeables. (Voir les manches de la chemise). Sans parler des coiffes, elles aussi, fort peu différenciées.
Quant aux jupes, il est fréquent de voir évoluer ensemble des jupes rouges taillées dans un tissu identique, quelle que soit la confession représentée, le reste du costume étant sensiblement le même.
Après avoir pu montrer au public que le costume alsacien ne se résumait pas à une seule jupe rouge, il serait intéressant de pousser plus loin en redonnant, avec le maximum de justesse, une plus grande place à la diversité vestimentaire issue des villages et territoires alsaciens. Comme ont réussi à le faire d’autres régions.
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Illustration d’entrée de l’article : ″Femmes à la procession de Geispolsheim″ par Fernand Wettel – 1872-1957 © Collection de la ville d’Obernai.
Documentation
- Paul Kauffmann ″L’Alsace traditionaliste″. Paru en 1931,
- Folklore et tradition en Alsace – Ouvrage collectif – Editions SAEP Colmar-Ingersheim 1973
- Costumes et coutumes d’Alsace – A Laugel et Ch. Spindler Editions Alsatia 1975
- Le costume paysan de Uhrwiller – Jean-Marc Schlagdenhauffen – Préface de Georges KLEIN – Uhrwiller 1992
Liens
https://fr.wikipedia.org/wiki/Satin
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