Une forme ancienne
L’origine de ce dispositif particulier est difficile à dater.
En remontant aux sources du costume occidental, on s’aperçoit qu’à l’époque médiévale jupe et corsage ne font qu’un, unis en une longue robe appelée ″cotte″, lacée sur le devant.
Aspect dont l’iconographie nous fournit de nombreux exemples.
Une conception qui se modifie à la Renaissance, la robe se séparant alors en deux parties distinctes pour permettre à la jupe de prendre toute son ampleur par l’ajout de nombreux plis serrés au niveau de la ceinture.
Disposés en rangs réguliers, ces plis prennent le nom de plis canon, en référence à leur forme tubulaire. Ils sont majoritairement répartis sur les reins et les hanches, une partie plus plate étant ménagée sur le ventre.
Aux siècles suivants, par l’ajout de rembourrages et renforts divers, ajoutés autour des hanches, le volume de la jupe va s’accroître davantage, pour donner à la silhouette féminine un aspect en sablier qui deviendra le standard de la mode féminine.
(Lire aussi : des plis très canon !)
La jupe, façon 18ème
La partie avant, plus plate, vient se rabattre sur le ventre.
Cette configuration bien particulière, proche du système ″à pont″ des culottes masculines , offre l’avantage de ménager des ouvertures latérales qui permettent l’accès aux paniers et poches amovibles placés en dessous, accessoires secrets indispensables aux femmes de l’époque, en l’absence de sac à main.
(Tout savoir sur les poches et paniers ici.)
Un concept qui perdure
Au 19 siècle, les paniers disparaissent et les deux parties de la jupe fusionnent à nouveau en une seule pièce.
Mais, curieusement, la jupe traditionnelle alsacienne va rester fidèle à l’ancien principe en deux parties, tout en adaptant les ouvertures latérales.
L’ouverture au niveau de la hanche gauche intègre une poche fixe. Cousue aux deux bords de l’ouverture, elle ne permet plus l’accès aux jupons.
La grande profondeur de cette poche n’est pas sans rappeler les poches amovibles du siècle précédant. De l’autre coté, l’ouverture accueille le système de fermeture de la jupe qui se fait au moyen d’une grosse agrafe, plus rarement d’un bouton.
D’où, le positionnement en décalé par rapport au corselet de cette fermeture, surprenante survivance d’un modèle vestimentaire disparu.
Des plis très canon !
Les plis sur l’arrière de la jupe sont de forme ronde et régulière. Ces plis canon sont un lointain héritage de la mode du 15è siècle, leur nombre et leur volume étant à cette époque un symbole tout particulier de luxe et de richesse qui a perduré à travers le temps.
(voir comment coudre les plis canon.)
L’aspect et l’importance de ces plis varient en fonction des appartenances confessionnelles.
Les jupes de type protestant présentent des plis canon discrets, avec seulement une ou deux rangées de fils de maintien. A la différence des tenues attribuées aux catholiques où ces plis sont un peu plus hauts, maintenus par trois rangées de fils.
Une différence très subtile qui n’apparaît plus sur les jupes modernes où les rangées de plis canon ont une forme standardisée et une hauteur qui ne correspond plus à l’aspect original.
Un curieux empiècement
Certaines jupes comportent sur la partie avant un étrange empiècement, coupé la plupart du temps dans un tissu différent de moindre qualité, chanvre ou lin épais, plus rarement du kelsch.
La surface de cette insertion est variable mais peut prendre la forme d’un large panneau sur les modèles de jupes les plus anciennes.
L’interprétation la plus souvent avancée pour expliquer cette particularité est la volonté de réaliser des économies, le large tablier venant très opportunément recouvrir et dissimuler aux regards cette partie de la jupe.
Ce qui semble tout à fait plausible, si l’on se rappelle que le textile, est resté pendant longtemps un matériau coûteux.
Mais il convient d’observer, qu’au fil du temps, cet ajout particulier s’est peu à peu réduit, dépassant tout au plus la taille d’un large mouchoir.
Ce qui amène à s’interroger sur l’économie finalement réalisée grâce à cette insertion devenue plutôt modeste, la démocratisation textile intervenue au 19è siècle ne nécessitant par ailleurs plus un tel rapiéçage.
L’’interrogation prend davantage d’acuité lorsque l’on observe que des jupes de fabrication très tardive (toute fin 19è siècle) comportent toujours ce même modèle d’empiècement mais coupé dans le même tissu que le reste de la jupe.
Le critère économique n’apparaissant plus ici comme un argument réel, force est de soupçonner que derrière ce curieux assemblage se dissimule une symbolique profonde dont le sens s’est perdu.
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Les traditions populaires ne sont pas avares de comportements et de traditions conservés par la force de l’habitude, leurs utilités et raisons premières ayant été malheureusement oubliées.
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Un vif remerciements aux divers musées et collectionneurs privés pour les renseignements et autorisations iconographiques.
Ainsi qu’à Erwan de Costumes d’Alsace pour le partage des pièces de sa riche collection.
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Références
- Folklore et traditions en Alsace – Editions SAEP Colmar-Ingersheim 1973
- Costumes et coutumes d’Alsace – A Laugel et Ch.Spindler – Editions Alsatia 1975
- Des habits et nous, vêtir nos identités – ouvrage collectif sous la direction de J.P. Lethuillier – Presses Universitaires de Rennes – 2007
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