Le comté de Ferrette
Tout au sud de l’Alsace, dans ce que l’on appelle le Sundgau,se dressent les ruines d’un château.
L’histoire commence en 1125. A la suite d’un partage successoral, le comté de Montbéliard est divisé en deux. La partie orientale est érigée en comté et attribuée à Frédéric 1er qui prend alors le titre de comte de Ferrette.
Altkirch, Ferrette et Thann en sont les trois seigneuries principales, avec le Château de Ferrette comme centre du pouvoir comtal.
Des personnages très remuants
Comme tous leurs homologues féodaux, les comtes de Ferrette travaillent activement à étendre leur zone d’influence. A une époque où le spirituel marche de pair avec le temporel, le premier comte, Frédéric (1125 – 1160) encourage l’établissement des prieurés de Feldbach et de Saint-Christophe à Altkirch .
Aventure dont, ni le jeune comte, ni l’Empereur, ne revinrent vivants, le premier disparaissant lors des combats pour défendre Saint Jean d’Acre, le second mourant sottement d’hydrocution dans un fleuve anatolien.
Le meurtre comme instrument politique
Leurs fils respectifs n’entretiendront pas des rapports très cordiaux. Ulrich Ier ne régnera que peu de temps sur ses terres de Ferrette, assassiné par le fils de Barberousse, Othon de Bourgogne.
Homme brutal et cruel, Othon n’hésitait devant aucun moyen pour assoir son pouvoir. Ayant ″éliminé″ le comte de Montbéliard, il entra en lutte avec une bonne partie de l’aristocratie alsacienne, en particulier avec l’évêque de Strasbourg.
Celui-ci ne lui pardonnait pas le meurtre de son frère qu’Othon avait tué de sa propre main lors de l’attaque du château de Hunebourg, , propriété de l’évêque. D’où une rancune toute personnelle entre les deux personnages.
Un seigneur humilié
Son ″fait d’armes″ le plus spectaculaire est l’enlèvement de l’évêque de Bâle, avec lequel il était en conflit territorial.
Celui-ci s’étant aventuré, il faut bien le dire, avec une certaine imprudence à proximité d’Altkirch , il fut capturé et amené de force dans la ville avec toute sa suite.
Relâché (un peu à la légère !) par le comte, il s’en vengea en lui faisant subir la peine du ″Harnescar″ : Frédéric se retrouvant obligé, sous peine d’excommunication, de défiler à travers toute la ville de Bâle en portant un chien sur ses épaules.
Ses gens et affidés, ainsi que l’ensemble des habitants d’Altkirch (complices malgré eux !) lui feront aussi cortège, marchant en chemise et la tête rasée, tous portant des selles et harnachements pour animaux de trait en signe de soumission, afin d’aller quémander le pardon de l’évêque.
Frédéric II n’aura pas le temps de ruminer bien longtemps son humiliation. Il sera, peu après, assassiné lui aussi par un de ses fils, Louis dit ″le Furieux″.
Louis sera excommunié à cause de son crime et mourra en exil en 1236.
Un fief sans défense
Un siècle plus tard, en mars 1324, le décès à Bâle du comte Ulrich III laisse la seigneurie sans héritier mâle, situation hautement périlleuse. Dans les quelques jours qui suivent sa mort, et pour couper court à toute velléité de main mise sur ses biens et terres, sa fille aînée Jeanne est rapidement mariée à Albert, dernier rejeton de la famille Habsbourg.
Peu de temps auparavant, le vieux comte, conscient de sa fin prochaine, s’était rendu auprès de l’évêque de Bâle afin d’aplanir les difficultés liées à sa succession.
Le risque était en effet très grand de voir se profiler un autre candidat peu scrupuleux, capable de s’emparer de manière plus ou moins ″radicale″ du titre et de l’héritière.
Un mariage très hâtif
C’est donc le 17 mars 1324, soit trois jours à peine après les funérailles du comte,que les noces vont se dérouler. Ce délai plus que bref laisse deviner dans quel état d’urgence les négociations en vue du mariage avaient été menées auparavant.
Elles sont célébrées à Thann, ville inféodée aux Ferrette, dans ce qui n’est pas encore la collégiale de style gothique flamboyant que l’on connaît mais une église plus petite, d’architecture romane.
Jeanne de Ferrette
On ne sait pas si la fiancée eut son mot à dire à propos de cette union. Mais si l’on en juge d’après la force de caractère qu’elle démontra régulièrement par la suite, elle sut certainement comprendre la situation d’urgence où elle se trouvait et accepter avec pragmatisme, la solution voulue par son père pour assurer sa vie autant que la conservation de ses biens.
Une capacité dont elle fit souvent preuve, en prenant une part active dans les affaires de ses états, jouant parfois les ambassadrices pour en sauvegarder les intérêts. Son nom figure sur divers documents et chartes, signés à Altkirch dans les années suivantes.
En 1345, elle n’hésita pas à rencontrer le pape en Avignon pour tenter d’obtenir de lui le droit de prélever un pourcentage sur les biens de l’Église dans les possessions autrichiennes de Styrie et Carinthie. Ce que le le pape refusa. On se demande bien pourquoi !
Albert de Habsbourg
Sixième fils de Albert Ier de Habsbourg (mort assassiné par son neveu en 1308 !), Albert II était destiné à une carrière ecclésiastique.
En 1313, alors qu’il est encore mineur, il est élu prince-évêque de Passau. Mais, ses différents frères ne laissant pas de postérité mâle, il dut renoncer à ses fonctions pour assurer la pérennité dynastique de sa famille.
Les auteurs ne sont pas tous d’accord sur son apparence.
Certains le décrivent comme un homme beau, de grande stature, alors que d’autres le disent boiteux et contrefait. Tant il est vrai qu’il commença à souffrir très jeune de crises d’arthrose très invalidantes.
Mais tous s’accordent sur ses qualités intellectuelles et ses talents de diplomate qu’il mit au service des souverains français et anglais au commencement de la Guerre de Cent Ans. Ce qui lui valu le surnom d’Albert ″le Sage″.
Il n’hésita pas, de manière très impopulaire, à prendre des mesures de protection en faveur des juifs, accusés par la rumeur populaire de propager la peste qui décimait à cette époque une bonne partie de la population.
Une alliance d’intérêts mutuels
Pour Albert, en dehors d’une promesse de descendance, cette union lui apportait des territoires qui, s’ajoutant à ses propres processions (les seigneuries de Landser et d’Ensisheim), lui permettaient de constituer en Alsace un ensemble géographique majeur, s’étendant d’un seul tenant dans toute la moitié sud de la région, entre Vosges, Forêt-Noire et Jura.
Le Sundgau et les possessions autour de Belfort lui donnaient le contrôle sur le passage vers la Bourgogne et la vallée du Rhône. Par Thann, c’était l’accès vers la route de la Lorraine.
Des titres et des droits impériaux
Dès le lendemain des noces, il prit le titre de comte de Ferrette et s’empressa de verser à sa belle-mère une somme conséquente de deux mille sept cents marcs d’argent, correspondant aux droits qu’elle et sa fille cadette conservaient encore sur le comté de Ferrette.
En épousant Jeanne, Albert consolidait aussi la position des Habsbourg comme prétendants au trône impérial.
En effet, pour accéder au titre, il fallait être descendant de Charlemagne, ce dont les comtes de Ferrette se glorifiaient volontiers.
Grâce à Jeanne, les Habsbourg augmentaient ainsi leurs prétentions à la couronne impériale. Couronne qu’ils avaient perdue mais qu’ils surent reconquérir, pour ne plus la lâcher, au siècle suivant.
Un couple stérile ?
Situation dangereusement instable d’un point de vue politique et qui ne pouvait que relancer le mercato dynastique concernant non seulement le comté de Ferrette mais également les autres possessions des Habsbourg.
En 1337, Albert II et Jeanne se rendirent à Aix-la-Chapelle où, tous les sept ans seulement, se déroulait un pèlerinage particulier dédié à la Vierge. Et le miracle se produisit : à 39 ans, âge avancé pour l’époque, Jeanne donna naissance à son premier fils. La dynastie des Habsbourg (et de ses biens !) était enfin assurée.
Sept ans plus tard, son époux la suivit dans la tombe, tous deux étant inhumés dans la Chartreuse de Gaming (Autriche) qu’ils avaient fondée ensemble.
Une Alsace autrichienne
Installés dans un premier temps à Ensisheim, lieu de résidence habituel des Habsbourg en Alsace, le couple s’était ensuite fixé à Vienne (Autriche), après la mort de Frédéric le Beau, frère aîné d’Albert,
Un couple fondateur
D’autres alliances matrimoniales sont venues par la suite accroître le pouvoir et les possessions des Habsbourg.
En particulier le mariage, un peu plus d’un siècle plus tard, de Maximilien de Habsbourg avec Marie de Bourgogne, elle aussi unique héritière de la fortune et des territoires de Bourgogne.
Mais il est légitime de considérer que c’est d’abord sur l’union de la jeune comtesse sundgauvienne avec le dernier rejeton des Habsbourg que s’est ancré le destin d’une dynastie qui a régné sur l’Europe pendant plusieurs siècles.
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Documentation
Auguste Quiquerez – Histoire des comtes de Ferrette – Société d’émulation de Montbéliard – 1863.
Le Sundgau, bastion Habsbourg de Jacques Vigneron – 1996.
Gabrielle Claerr-Stamm, Jeanne de Ferrette -le destin européen d’une Alsacienne – Riedisheim – Société d’Histoire du Sundgau, 1996.
Valérie Bach et Philippe Wendling – Femmes dans l’histoire – Éditions Sutton, 2019.
Théodore Rieger, Françoise Thary et Philippe Jung – Destins de femmes, 100 portraits d’Alsaciennes Célèbres – Le Verger Editeur – Barr, 1996.
Liens
https://www.chateauxfortsalsace.com/fr/chateau/chateau-de-ferrette/
https://wikimonde.com/article/Autriche_ant%C3%A9rieure#cite_ref-2
https://www.focus-voyage.com/9264327/l-incroyable-histoire-du-sundgau-autrichien/
http://hirtzbach.free.fr/histoire/hist-comtes-ferrette.htm
https://fondation-collegiale-thann.fr/histoire-collegiale/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Frédéric_Barberousse
https://fr.wikipedia.org/wiki/Otton_Ier_de_Bourgogne
http://www.isundgau.com/frederic-ii-comte-de-ferrette/
https://mon-grand-est.fr/sundgau-autrichien/
Catherine Gries
22 mars 2024Merci pour cette excellente synthèse ! J’ai beaucoup appris !