La blouse paysanne, marqueur social.

A la différence d’autres régions françaises où elle est indissociable du vestiaire masculin, la blouse paysanne apparaît en Alsace presque comme une exception. D’un statut différent de la tenue masculine avec veste noire et gilet rouge, la Schwetzerhemd″ habille en priorité les classes ouvrières et certaines catégories bien particulières de la société.

 

Le député de l’Allier, Christophe Thivrier suscite l’émoi à L’Assemblée Nationale en apparaissant en blouse de travail – Le Petit Journal, édition de février 1894.

Scandale à L’Assemblée Nationale

Lorsqu’en 1894, Christophe Thivrier, député fraîchement élu de l’Allier, se présente à l’Assemblée Nationale, vêtu de la blouse bleue des ouvriers de son département, il suscite un profond scandale dans l’hémicycle.

Apparaitre ainsi en tenue de travail, au milieu des autres députés en costume, est vécu comme une insulte par ses collègues, l’aspect débraillée de la blouse étant à leur yeux incompatible avec le respect à conserver face à l’institution.

La dimension politique du geste est bien sûre évidente car cette blouse n’est pas seulement une tenue de travail. Elle est le symbole d’une partie souvent méprisée de la population, celle des manœuvres et des ouvriers dont la part grandissante vient modifier profondément les équilibres de la société.

Le premier bleu de travail

A l’origine, la blouse est la tenue des paysans du centre de la France. Elle n’y a aucune connotation péjorative puisqu’on la porte aussi les dimanches et jours de fête.

Au 19è siècle, elle arrive à Paris avec les très nombreux émigrants auvergnats qui ″montent″ à la capitale à la recherche d’une vie meilleure.

Spécialisés dans le commerce du bois, du charbon (livré à domicile), des boissons (vins, spiritueux, limonades), ils sillonnent les rues de la capitale avec leurs charrettes à bras, créant l’imagerie familière des manœuvres et autres portefaix habillés de ces larges blouses.

 

Charretier des bords de Seine au début du 20è siècle.
Paysans de l’Aveyron en 1913.

 

La forme protectrice de cette biaude (ou blaude) lui vaut d’être adoptée par d’autres catégories populaires et ouvrières.

Très souvent teinte en bleu, elle peut être considérée comme le précurseur du fameux ″bleu de travail″ des ouvriers. Elle devient à travers eux un important identifiant social.

En Alsace, un costume également connoté

Paysan de Hunspach en costume de travail – Lithographie de Charles Spindler – BNU Strasbourg NIM00970

 

Dans la région aussi, la notion de costume ouvrier lui est attachée. A la ville comme à la campagne, l’alsacien lui préfère un style vestimentaire hérité de l’Ancien Régime, à savoir la veste ouverte, portée sur un gilet plus ou moins court.

 

 

La cour d’une laiterie à Mulhouse dans la seconde moitié du 19 siècle. On remarque qu’en dehors du charretier à bras, la plupart des hommes restent fidèles au standard de la veste et du gilet. – Gravure de Frédéric Lix.

Prédilection qui illustre la scission qui s’installe dans la société de la seconde moitié du 19è siècle, entre la paysannerie jusque là majoritaire et une classe ouvrière de plus en plus importante. La blouse devient la marque de ceux contraints de louer leurs bras, de s’employer comme ouvriers dans les usines et manufactures qui essaiment un peu partout dans la région.

 

Domestique à la Baroche – BNU Strasbourg
Homme aux environs de Sélestat en costume de travail – Lithographie de Charles Spindler – BNU Strasbourg NIM00960
Les marchands de bestiaux juifs, identifiables grâce à leur large blouse, sur le marché d’Altkirch (sud Alsace). A droite, un paysan accompagné d’une femme porte une longue redingote à la française, reconnaissable à sa poche de coté – Gravure de Frédéric Lix.

 

 

Mais c’est aussi la tenue de la plupart des marchands de bestiaux, généralement de confession juive, avec lesquels la paysannerie locale entretient parfois des rapports difficiles.

Ce qui accroît l’aura plutôt péjorative qui entoure cette partie de la population.

Dans les vignes

La blouse trouve aussi sa place dans le milieu de la viticulture où sa forme ample, offrant une large protection, répond aux besoins d’une activité soumise aux intempéries.

P.Kaufmann – BNU Strasbourg NIM22785
Ouvriers vendangeurs début 19è.

 

Le costume des jeunes garçons

Jeune paysan de Rietschiller, environs de Soultz sous Forêts – Lithographie de Charles Spindler – BNU Strasbourg NIM00951
Dans les campagnes, la blouse est particulièrement utile pour habiller les jeunes garçons.

Ample et longue, elle accompagne facilement leur croissance et permet de faire la transition entre la tenue du petit enfant et celle du jeune adulte.

 

Jeunes enfants du Korchersberg.

 

Mais elle n’est pas portée par tous les enfants. Entre eux aussi, les différences sociales se font jour, la blouse servant de marqueur social entre les plus riches et les moins favorisés.

On peut ainsi constater que dans les régions du  Kochersberg ou du pays de Hanau, où l’attachement aux traditions est longtemps resté le plus ancré, c’est la tenue traditionnelle complète avec pantalon, veste et gilet, identique à celles des adultes qui habille le plus souvent les jeunes garçons.

Choix d’autant plus marquant que la confection de ce type de tenue s’avérait aussi onéreuse pour un enfant que pour un homme adulte.

 

Dans les villages, les jeunes garçons sont très tôt habillés avec le costume traditionnel, comprenant veste et gilet à boutons. On remarquera au passage que les fillettes sont moins endimanchées – Enfants de Mietesheim – BNU. NIM13188

Ce clivage se remarque particulièrement lors des évènements festifs (messti) qui émaillent la vie communautaire, lesquelles sont autant d’occasions de vêtir petits et grands avec des habits de fête.

 

Mariage à Mietesheim en 1904 – Autour de la mariée (de dos), les invités présents portent la tenue traditionnelle, à l’exception d’un jeune garçon en blouse – BNU Strasbourg NIM12954

 

Fête villageoise du ″Messti″ à Miestesheim en 1907 où presque tous les jeunes garçons ont revêtus le costume traditionnel, – BNU Strasbourg.

 

Entre tenue traditionnelle et blouse à connotation plus populaire, une frontière discrète se trace ainsi très tôt entre les jeunes membres de la société villageoise.

Lesquels n’échappent pas à la hiérarchisation sociale dessinée par le costume.

 

Si la blouse et le costume coexistent pour habiller les jeunes garçons, on notera par ailleurs l’importance accordée au chapeau !

 

 

 

________________________

 

Documentation

 – Jean-Pierre Lethuillier – Les costumes régionaux – Presses Universitaires de Rennes – 2009

Liens

https://www.cnrtl.fr/definition/biaude

https://fr.wikipedia.org/wiki/1894_en_France

https://drf.4h-conseil.fr/pages/D1B0065.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_Thivrier

https://books.openedition.org/pur/99659

https://www.cparama.com/forum/les-auvergnats-t4193.html

https://www.getty.edu/art/collection/object/1041HH

 

 

Qu'en pensez-vous ?

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

1 commentaire
  • SCHEER
    22 octobre 2023

    Je suis toujours ravie de lire vos nouveaux articles sur les costumes alsaciens. Je voudrais savoir si vous allez aborder le sujet concernant une coiffe masculine qui retient mon attention. Il s’agit du morischelkàpp, un bonnet de laine noire porté par les garçons, coiffe originaire de Seebach. Je voudrais en confectionner un, mais pas moyen de trouver le point de tricot utilisé, ni le patron…