Un costume en devenir
Dans les premières décennies du 19è siècle, le costume alsacien porté dans le Kochersberg (région à l’ouest de Strasbourg) conserve encore de nombreux particularismes, hérités des siècles précédents.
Une iconographie abondante permet d’en visualiser les traits les plus significatifs et leurs points de divergence avec le costume actuel.
– La coiffe, bien sûr, qui est l’élément le plus représentatif et le plus connu du costume mais dont le nœud garde encore une taille modeste. Placé sur le haut de la tête, il lui faudra attendre encore quelques années pour entamer son irrésistible ascension.
– Le ″Flor″(nom dialectal donné à la cravate de soie noire.) noué autour du cou et qui sera remplacé par la suite par le châle. Ce nom est une déformation du mot fleuret, désignant une soie de qualité moindre issue des fibres courtes entourant le cocon.
Proche de la Palatine, popularisée par la princesse du même nom, le flor vient rappeler les ascendances germaniques du costume alsacien.
Voir : (La Palatine, une mode allemande à la Cour de Versailles.)
– La jupe courte, selon la mode paysanne. Elle est en deux parties, de couleur différente, avec un large ruban de couleur contrastante faisant le tour de l’ourlet. Elle s’accompagne d’une sous-jupe un peu plus longue, elle aussi ornée d’un large ruban. Ces rubans venaient accentuer l’effet de superposition, principe fondamental du costume paysan. (Lire aussi à ce sujet)
– Le tablier est de simple toile blanche. Ce n’est que quelques décennies plus tard que l’essor industriel et textile va démocratiser auprès des paysannes la mode citadine des tabliers de soie ou satin brochés.
Un assemblage surprenant
L’élément le plus frappant de cette tenue est l’abondance des rubans colorés qui ornent le haut du buste. Ils entourent l’imposant vorstecker (nom dialectal du plastron) en un dispositif complexe de ruchés et de nœuds qui déborde sur les épaules.
De manière très surprenante, cet agencement très visuel a complètement disparu par la suite, l’ornementation se resserrant sur le seul vorstecker. (Voir : Le vorstecker, l’Alsace qui plastronne.)
La poupée témoin
Haute d’une soixantaine de centimètres, elle reproduit fidèlement les tenues du début du 19è siècle représentées sur les gravures, avec l’avantage d’une vision en trois dimensions plus précise que celle offerte par l’iconographie.
On y retrouve les principaux éléments du costume tels que la petite coiffe et son nœud de dimension réduite, noué au sommet de la tête ainsi que le flor de soie noire, noué sur l’arrière du cou.
Jupe et jupon courts se terminent chacun par des rubans colorés, celui du jupon étant volontairement mis en valeur par la différence de longueur existant entre ces deux pièces vestimentaires.
Un style archaïque
L’ensemble permet d’observer l’agencement du grand vorstecker avec le corselet. Étroitement ajustés l’un à l’autre, ces deux pièces s’inscrivent dans un concept vestimentaire hérité des modes des 16è et 17è siècles, à une époque où parure et contrainte corporelle étaient obligatoirement associés.
Elles mettent en évidence un surprenant système de crochets plats et de rubans entrecroisés dont le réseau serré maintient en place la partie inférieure du vorstecker.
Ces crochets présentent la particularité d’être ouverts et recourbés vers l’extérieur. Répartis au bord du corselet, ils assurent avec les rubans serrés la cohésion du tout.
Ce mode de fixation est voisin de celui encore utilisé par certains costumes autrichiens ou suisses.
En Alsace, ce modèle de crochets a été par la suite remplacé par des anneaux fermés, cousus au bord du corselet. Plus tard, ce sont des œillets intégrés directement dans le tissu du corselet qui seront utilisés, les rubans laissant la place à des lacets.
Un décor luxueux
Le haut du buste comporte un riche décor de rubans plissés, réparties autour et sur le vorstecker et dont il est difficile de saisir l’organisation de prime abord.
Une étude plus précise permet toutefois de dissocier cette ornementation en deux parties, l’une concernant les épaules, l’autre se rapportant au vorstecker.
Entre utilitaire et ornemental
Leur fonction n’est qu’ornementale et ne servent qu’à dissimuler le cordon qui relie ordinairement les bretelles au corselet.
Au 18è siècle, ces bretelles ne sont pas cousues au corselet mais reliées à lui par des liens. La fixation est ainsi ″réglable″ suivant la corpulence de celle qui le porte. (Dispositif que l’on retrouve presque inchangé sur les soutien-gorges modernes.)
Un coup d’œil attentif nous permet d’identifier sur d’autres tenues des rubans d’une allure comparable. Comme, par exemple, sur le costume de La Belle Strasbourgeoise où des rubans roses apparaissent de part et d’autre du haut corselet lacé, en partie cachés sous le fichu de mousseline.
Une poupée, en costume 18è, conservée au Textilmuseum de Augsburg, laisse deviner une configuration proche, le ruban de fixation des bretelles au niveau des épaules servant ici aussi d’élément décoratif.
Cette confrontation offre une excellente illustration de la diffusion des modes bourgeoises vers les milieux populaires. A la faveur des changements de goût ou d’habitudes, certaines parties ou pièces de costumes délaissées par les élites, étaient reprises par les classes inférieures. D’où, parfois un processus de surdimensionnement pour souligner l’importance symbolique de ces acquis.
Une version simplifiée
Certaines gravures présentent une version ″simplifiée″ de ces nœuds de rubans, ceux-ci se limitant parfois à de simples rosettes au niveau des épaules.
Mais il est difficile de savoir s’il s’agit d’une variante très localisée ou d’une étape évolutive dans le processus d’abandon de cette mode.
Surprenants vorsteckers
L’étude de certains modèles de plastrons, conservés au Musée Alsacien de Strasbourg, apporte des éléments de réponse sur l‘agencement complexe des rubans entourant la partie supérieure du vorstecker.
En les confrontant à ceux présents sur la poupée conservée à Colmar, l’usage de ces rubans apparaît plus clairement.
Fixés de coté sur le vorstecker, ils se glissaient sous les bretelles du corselet pour revenir se nouer en un gros nœud sur le devant du plastron. Par ce moyen, la partie haute de celui-ci, bien que dépassant largement au-dessus du laçage, se trouvait parfaitement maintenue en place au niveau de la poitrine.
Les traces de plis et nœuds, encore présents sur les rubans, attestent de cette disposition particulière, en accord avec les diverses représentations iconographiques.
Un costume oublié
Il est tout à fait surprenant que les paysannes de l’époque, habituellement friandes d’ornements spectaculaires, aient abandonné ce décor de nœuds et rosettes, à l’aspect pourtant si coquet.
Il disparaît totalement dans la seconde partie du 19è siècle, sans explication véritable si ce n’est une modification des goûts ou de la mode. La recherche ornementale va alors se reporter sur le vorstecker ainsi que sur le ruban de la coiffe, avec les effets de surdimensionnement que l’on connait.
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Un remerciement tout particulier aux conservateurs du Musée des Unterlinden de Colmar et du Musée Alsacien de Strasbourg pour leur aide précieuse en matière d’autorisation et de prêts de documents.
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