Mariage à Sainte Croix en Plaine

L’Alsace, à la toute fin du 18è siècle, connaît un changement profond des modèles vestimentaires en usage jusqu’alors. Une tenue féminine, conservée par le musée des Unterlinden de Colmar, illustre ce bouleversement. Constitué d’une jupe et d’un casaquin court, l’ensemble a habillé une jeune mariée en 1817, dans la petite localité de Sainte Croix en Plaine, au sud de Colmar.

Une robe de satin rose

 

 

La mariée se prénomme Marie-Jeanne Heymann et, en ce 8 octobre 1817 où elle épouse Jean-Gorges Stoffel, la jeune épousée de 19 ans porte une ravissante robe de satin rose broché de fines lignes vertes figurant des rameaux floraux stylisés.

Détail du tissu de la robe de mariée – Musée Unterlinden

Une tenue très bourgeoise

La mariée n’est pas habillée selon la mode locale, de type germanique, avec corselet lacé et jupe de couleur.

Sa robe est calquée sur le style en vogue dans les villes de plus ou moins grande importance où la mode parisienne sert de référence.

Il faut y voir l’affirmation d’un certain niveau social. Ce que la mention de ″cultivateur″ inscrite sur le contrat de mariage à propos du père de la mariée et de son futur époux, ne laisse pas deviner mais qui pourrait se comparer de nos jours à un statut de riche paysan.

Les capacités financières de la famille transparaissent dans ce choix d’une robe de style bourgeois, à la mode de la ville, pour habiller la mariée.

 

Vue arrière du costume de mariage de Jeanne Heymann – Musée Unterlinden de Colmar – © J.Rueher

Une mode nouvelle

Avec sa ligne allongée et sa ceinture placée haut, cette tenue témoigne du basculement des modes qui s’est instauré à la toute fin du 18è siècle. Le signe le plus évident de ce changement est la disparition des paniers et autres rembourrages donnant du volume aux jupes.

En quelques années, la silhouette féminine s’en est trouvée radicalement modifiée.

 

1790 – Journal des Luxus un der der Moden.
1799 – Journal des Luxus un der der Moden.

 

Un casaquin court

La robe de la mariée, avec son petit casaquin court et sa longue jupe assortie, s’inscrit dans ces nouveaux canons esthétiques.

 

Indépendant de la jupe, ce casaquin est d’une coupe simple, avec un décolleté peu profond, descendant à peine sous la ligne des clavicules.

 

Détail du lien coulissant – Musée Unterlinden de Colmar – © J.Rueher
Vue avant du casaquin – Musée Unterlinden de Colmar – © J.Rueher

 

Une petite coulisse, prenant naissance sur les coutures à l’arrière des épaules, en fait le tour permettant de l’ajuster et de le maintenir fermé.

Nouvelle mode, nouveaux dessous

L’abandon des paniers s’accompagne également de la disparition des ″corps″ baleinés (appelés aussi corps de robe), corsets droits, rigidifiés par de nombreuses ″baleines″ , et qui emprisonnaient la totalité du buste en comprimant la poitrine et le ventre.

Pour les femmes habituées à ce type de contention, cette liberté nouvelle pose problème, leur poitrine n’étant plus maintenue comme auparavant.

Pour y remédier, un nouveau type de corsets fait son apparition. De format court, ils sont d’une conception tout à fait nouvelle en incluant des ″bonnets″ pour soutenir les seins, préfiguration des soutien-gorges du 20è siècle.

Les nouveaux corsets avec des bonnets intégrés transforment la silhouette.

La silhouette féminine en est transformée. Pour la première fois dans l’histoire des dessous féminins, la poitrine n’est plus comprimée mais, tout au contraire, mise en valeur dans des décolletés larges, faisant ″pigeonner″ les seins.

 

Journal des Dames et des Modes – Costume parisien- année 1807.
Journal des Dames et des Modes – Costume parisien- année 1811.
Journal des Dames et des Modes – Costume parisien- année 1813.

Un dos très étroit

Les nouveaux corsets, s’ils libèrent un peu plus le corps n’en restent pas moins fidèles aux principes anciens.

Ils obligent toujours à se tenir très droite, avec les épaules rejetées en arrière, les omoplates étant fortement rapprochées.

Journal des Dames et des Modes – Costume parisien- année 1812.

 

Le casaquin de Sainte Croix en Plaine est conforme à cette allure particulière avec une ligne de dos resserrée. D’où une impression d’étroitesse qui surprend quand on la compare à nos standards actuels.

 

La partie centrale du casaquin adopte une coupe étroite, rejetant les épaules en arrière – Musée Unterlinden de Colmar – © J.Rueher

 

Vue des petits boutons à l’arrière du casaquin- Musée Unterlinden de Colmar – © J.Rueher

Elle est soulignée par deux petits boutons qui mettent en valeur les basques discrètes qui terminent le bas du casaquin.

Un petit détail innovant

L’examen de la partie arrière du casaquin, fait ressortir l’emploi de surpiqures pour souligner les deux coutures centrales.

Cette technique nouvelle, qui préfigure celle du passe-poil, reste rare en ce début de siècle.

Elle sera très employée par la suite pour souligner la structure des vêtements.

 

 

Mariée de Sainte Croix en Plaine – Musée Unterlinden de Colmar – © J.Rueher

Un costume à la croisée des modes

Même si notre jeune mariée, avec sa robe à taille haute, de style ″Empire″ semble être habillée selon la vogue nouvelle, elle n’en est pas moins déjà en décalage avec la mode parisienne.

Laquelle est en pleine mutation et où la robe en un seul tenant est devenue la norme.

 

La robe de mariée de Sainte Croix en Plaine, avec sa jupe et son haut séparés, reste inscrite dans les standards esthétiques de la décennie précédente avec des détails d’ajustements particuliers.

Comme par exemple les plis de la jupe dont le volume rejeté vers l’arrière, reprennent l’effet  ″faux-cul″ à la mode dans les années 1890.

 

Les modes ″officielles″, venues de Paris, mettant toujours un certain temps à se diffuser dans les régions, il se créait nécessairement un décalage dans la circulation des nouveautés.

 

Une mode ″à la sauce alsacienne″

Ce décalage est encore accentué par les accessoires que les alsaciennes continuent d’intégrer à leur toilette. Habitude qui n’est pas propre à L’Alsace et qui permettaient aux modes nouvelles de se mélanger avec celles déjà en place.

Selon les lieux où il est porté et surtout les accessoires considérés comme essentiels qui lui sont ajoutés, l’apparence d’un costume sera donc très différent. Il varie aussi selon les milieux, les élites qu’elles soient citadines ou rurales se montrant plus réceptives aux nouveautés.

Comme souvent, c’est par un phénomène de ″strates″ que la transition s’opère, le nouveau s’agglomérant à l’ancien de manière plus ou moins appuyée en fonction des moyens financiers mais aussi selon la valeur symbolique attachée à certains éléments vestimentaires.

En Alsace, certaines pièces de costumes ont longtemps gardé leur caractère ″indispensable″.

Lire à ce sujet : la mode française revisitée

Tenue citadine ″panachée″ d’accessoires vestimentaires traditionnels pour cette maraichère de Strasbourg. Les maraichers de la ville représentaient une élite riche et influente – Charles Emrich – Jardinière de Strasbourg – 1830 – BNU Strasbourg NIM22709

 

Les ″Incontournables″

Coiffe dorée avec nœud de nuque rebrodé porté par la mariée – Musée Unterlinden de Colmar – © J.Rueher
Vient en tête (si l’on peut dire !) de ces éléments essentiels, la coiffe brodée d’or, avec son petit nœud.  Elle représente un repère social important et ce n’est que dans les milieux urbains qu’elle sera remplacée par les petits ″bibis″ à la mode.

A Sainte Croix en Plaine, où la robe de la mariée atteste d’un certain niveau social, la tradition reste malgré tout préservée et c’est donc coiffée d’une splendide coiffe dorée que la jeune épousée s’avance à l’autel.

Selon toute probabilité, une couronne de fleurs ou de clinquants devait compléter cette coiffe pour le jour du mariage. Mais, si ce fut le cas, elle n’a pas été conservée.

 

Autre accessoire incontournable, le large tablier. Il est l’incarnation des valeurs domestiques dont les alsaciennes ne peuvent se séparer. Lui aussi résiste aux bouleversements vestimentaires, en passant d’une mode à l’autre sans en être affecté.

L’indispensable fichu

Un beau fichu de baptiste blanche accompagne la tenue de la mariée. Brodé de jours et de motifs blancs, au point de chaînette, il constitue l’élément indispensable de la parure.

 

Le fichu de baptiste blanche brodé de la mariée  –  Musée Unterlinden de Colmar – © J.Rueher

 

 

Gravure de 1827 montrant un costume proche de celui de la mariée de Sainte Croix en Plaine avec une tenue de type citadin accompagnée d’élément très ″alsaciens″ tels que coiffe dorée, fichu blanc et large tablier – ″Costumes de femmes de différents pays″ par Louis-Marie Lanté et Georges-Jacques Gatine.

Portés par les alsaciennes pendant tout le 18è siècle, ces beaux fichus blancs connaîtront par la suite un rapide déclin, concurrencé par les larges châles en cachemire mis à la mode par l’impératrice Joséphine de Beauharnais.

 

Au cours du 19è siècle, l’essor de l’industrie textile va considérablement modifier les habitudes vestimentaires, apportant de nouvelles matières, de nouveaux comportements. Le costume de notre mariée, traversé d’influences diverses, s’inscrit dans ce processus de transition où les traditions anciennes se confrontent aux apparences nouvelles.

 

*

 

Un an après son mariage, Jeanne Stoffel met au monde un fils, Jean Georges Stoffel (1819-1880), importante personnalité alsacienne, tout à la fois historien et archéologue passionné qui enrichira de ses trouvailles les musées alsaciens. C’est également un poète et un linguiste s’intéressant aux contes et légendes populaires d’Alsace à propos desquels il collaborera avec Auguste Stoeber.

Acteur actif dans de nombreuses associations culturelles alsaciennes et médaillé à de nombreuses reprises pour ses travaux, il fait partie de la Société Schongauer, fondatrice du Musée Unterlinden de Colmar, et participe à la fondation du Musée Historique de Mulhouse en 1858. Il sera aussi membre de la Commission de topographie des Gaules, rédigeant en 1868 un ″Dictionnaire topographique du département du Haut-Rhin″.

Nommé Bibliothécaire en chef de la Ville de Colmar, il occupera le poste jusqu’à la fin de sa vie.

 

Son frère François-Antoine Stoffel choisira l’exil à Bâle en 1872, après la défaite de 1870. Sa fille Bernardine Stoffel (1859-1936), a reçu en 1919 la médaille de La Reconnaissance Française pour le rôle qu’elle a eut auprès des évadés, rapatriés et internés français ou autres soldats blessés durant la Première Guerre Mondiale.

C’est elle qui a fait don, en 1929, de la robe de mariage de sa grand-mère à la société Schongauer qui gère le Musée Unterlinden de Colmar.

 

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Un grand merci à Mr Raphaël Mariani du Musée Unterlinden pour son soutien ainsi qu’à La Société d’Histoire et de Généalogie de Sainte-Croix-en-Plaine pour leurs apports documentaires.

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Documentation:

  • La Mode en France 1715-1815, de Louis XV à Napoléon 1er – Ouvrage Collectif en collaboration avec l’Institut du Costume de Kyôt – La Bibliothèque des Arts – Paris – 1990
  • Le Costume Français – Ouvrage collectif – Edition Flammarion – Paris – 1996
  • Histoire de la mode et du costume – James Lever – Editions Thames & Hudson – Paris -2003 (Réédition)
  • Fashion : Une histoire de la mode du XVIIIe au XXe siècle – Akiko Fukai – Editions Taschen – 2006
  • La mode du XIXe siècle en images – Guénolée Milleret – Editions Eyrolles – 2012
  • La mécanique des dessous, une histoire indiscrète de la silhouette – Edition des Arts décoratifs – Paris – 2013

Liens:

https://www.instantprecieux.fr/histoire-robe-mariee

https://fr.wikipedia.org/wiki/Journal_des_dames_et_des_modes

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10026447n?rk=407727;2

https://www.metmuseum.org/art/collection/search/90484

https://www.metmuseum.org/art/collection/search/86864?img=2

https://www.rijksmuseum.nl/nl/collectie/BK-TN-1166

https://sites.google.com/view/shgscp/publications/annuaires

https://www.dna.fr/edition-de-colmar/2019/09/12/un-grand-homme-aux-journees-du-patrimoine

 

 

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1 commentaire
  • Annick Meyer
    6 juillet 2023

    toujours aussi intéressant et bien documenté. Bravo!