Le symbole du luxe
Ne pouvant poursuivre ses études de théologie à cause des évènements qui secouent la capitale, il trouve un emploi dans une manufacture de porcelaines tenue par un parent, Jean-Baptiste Locré.
La maison Locré est alors une fabrique prestigieuse, particulièrement prisée par les membres de l’aristocratie et de la Cour, en particulier Madame du Barry, favorite du roi Louis XV.
A cette époque, de nombreuses manufactures de ce type se sont installées à Paris et sa périphérie, le goût pour la porcelaine fine n’ayant cessé de se développer depuis le 16ème siècle et l’arrivée en Europe des faïences et porcelaines chinoises.
Articles de grandes valeur, connues depuis le Moyen Âge grâce aux Routes de la Soie, les porcelaines sont extrêmement recherchées par les élites bourgeoises et aristocratiques. Coutant des fortunes, elles représentent le luxe ultime pour qui en possède quelques pièces.
D’autant que leur fabrication est longtemps restée un mystère jalousement gardé par les Chinois.
Importées par cargaisons entières depuis l’Asie, leur commerce représentaient une source non négligeable d’enrichissement pour les diverses Compagnies Maritimes européennes.
Les découvertes régulières d’épaves contenant des caisses pleines de porcelaines chinoises viennent rappeler régulièrement l’importance de ces importations tout au long des 17è et 18è siècles.
Les premières productions européennes
Dès leur arrivée en Europe, les céramistes chercheront à percer les secrets de fabrication de la porcelaine chinoise.
A la fin du 17è siècle, s’installe à Saint Cloud une fabrique de porcelaine, dite à pâte tendre . Encouragée par Monsieur, frère du roi Louis XIV, elle est l’une des toutes premières à concurrencer avec succès les pièces d’importation chinoises.
Peu de temps après, le premier gisement européen de kaolin est découvert en Saxe, permettant le développement de la porcelaine de Meissen.
Les innovations techniques qui s’enchaînent alors vont ouvrir la voie à la création de nombreuses manufactures, le commerce de la porcelaine se révélant particulièrement lucratif malgré la concurrence féroce existant entre les différentes fabriques.
La porcelaine de Paris
Profitant de cet engouement, nombres d’entre elles s’installent à Paris et sa proche banlieue, sous la protection de princes ou de grands aristocrates.
Comme celle du Faubourg Saint-Denis,protégée par le comte d’Artois, que Marc Schoelcher rachète en 1798.
Profitant de sa formation chez Locré, il commence à produire ses propres porcelaines, vite recherchées et appréciées.
Notamment celles imitant le style antique, très en vogue en cette fin du 18è siècle, les ruines de Pompéi ayant été récemment redécouvertes.
Un magasin de produits de luxe
L’endroit, ouvert sous l’enseigne « A l’épreuve du feu », sera par la suite redécoré des Armes de France, l’ancien protecteur de la manufacture Schoelcher, le comte d’Artois, étant devenu le roi Charles X. Le magasin est aussi le fournisseur officiel de la duchesse de Berry, belle-fille du roi.
Les porcelaines de Schoelcher vont rapidement se distinguer par l’originalité de leurs formes, la vivacité et la finesse des décors. Les fonds d’or y tiennent une grande place, selon la mode du temps.
Une spécialité parisienne
La bourgeoisie de l’époque se montre très friande de ce type de porcelaine dorée, un peu « tape à l’œil ». Schoelcher n’est d’ailleurs pas le seul à commercialiser ce qui est une spécialité des manufactures parisiennes.
En tête, les productions de la maison Dagoty qui représentent pour Marc Schoelcher une concurrence redoutable.
Pas toujours signées, les productions des deux manufactures peuvent être souvent confondues.
Ce qui n’empêche pas les créations de la maison Schoelcher d’être parmi les plus appréciées du public et les plus réputées de la capitale. Au point de se voir décerner une médaille à l’Exposition de Paris en 1819 où sa production est alors comparée à celle issue de la manufacture de Sèvres, laquelle est « la » référence de ce type d’artisanat.
Une production très éclectique
Pendant les quelques décennies de son existence, les porcelaines de la maison Schoelcher se singularisent par leur grande diversité, pour s’adapter aux goûts toujours mouvants de la clientèle.
D’où un surprenant contraste de styles entre les diverses productions , certains modèles apparaissant presque modernes pour leur époque, en comparaison d’autres plus « chargés ».
Victor Schoelcher, profession VRP
A partir de 1828, Marc Schoelcher associe à son affaire son plus jeune fils, Victor.
Pendant de nombreux mois, Victor voyage aux États-Unis puis au Mexique via Cuba.
C’est là qu’il découvre le sort terrible réservé aux esclaves, avec son lot d’exactions et de mauvais traitements. Cette découverte va bouleverser sa vie.
Revenu en France en 1830, il délaisse l’entreprise paternelle pour se lancer dans le journalisme. Il écrit des articles sur l’esclavagisme, s’engageant pour son abolition.
A la mort de son père en 1832, il hérite de la manufacture dont il décide de ne pas reporter le bail. La maison Schoelcher ferme définitivement ses portes en 1834.
Devenu sous-secrétaire d’État aux colonies, à la suite de la Révolution de 1848 qui a renversé le roi Louis Philippe,Victor Schoelcher rédige et signe le 27 avril de la même année le décret d’abolition qui met fin à l’esclavage dans les colonies françaises.
Il est élu député de la Martinique et de la Guadeloupe de 1848 à 1851 mais doit s’exiler cette dernière année, après le coup d’État et la prise de pouvoir de Napoléon III. Réfugié en Angleterre pendant 20 longues années, il y rencontre Victor Hugo, exilé politique comme lui. Il lui faudra attendre la chute de l’Empire pour rentrer en France et devenir à nouveau député de la Martinique en 1871, puis sénateur en 1875.
Tout au long de sa vie, il sera le défenseur d’une république démocratique et sociale, luttant contre l’analphabétisme en prônant une instruction publique laïque et gratuite. Ardent militant de l’abolition de la peine de mort, il s’insurge par ailleurs contre les conditions de détention dégradantes infligés aux détenus dans les bagnes.
Mort à Paris en 1893, à l’âge de 89 ans, il est enterré selon son souhait auprès de son père, au cimetière du Père-Lachaise. En 1949, son corps a été transféré au Panthéon où il y repose auprès du Guyanais Félix Éboué, premier homme de race noire à y faire son entrée.
Pour respecter son vœu initial, son père Marc Schœlcher est inhumé à ses côtés.
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Dans le village de Fessenheim, un musée dédié à Victor Schoelcher retrace de manière très didactique le parcours de vie de cet homme engagé. Dans une vitrine, quelques belles porcelaines Schoelcher rendent discrètement hommage à un créateur dont le nom, bien qu’un peu éclipsé par celui de son fils, n’en reste pas moins bien connu des amateurs d’art.
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« Disons nous et disons à nos enfants que tant qu’il restera un esclave sur la surface de la Terre, l’asservissement de cet homme est une injure permanente faite à la race humaine toute entière. » Victor Schoelcher
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Références
- Cahiers de la céramique et des arts du feu – Printemps 1957
- Michel Bloit – Trois siècles de porcelaine de Paris – Editions Hervas – 1988
- Régine de Plinval de Guillebon – Faïence et porcelaine de Paris – Editions Faton – 1995
- Fabienne Federini – L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE DE 1848 – Une lecture de Victor Schoelcher – Edition l’Armattan Collection : Chemins de la Mémoire – 1998
- Janine Alexandre-Debray – Victor Schoelcher ou La mystique d’un athée – Editions Perrin – 2006
- Gérard Dhôtel – Victor Schoelcher: » Non à l’esclavage » -– Editions Actes Sud Junior –2008
Liens
https://legide.be/fr/lepopee-de-la-porcelaine-un-film-despionnage-palpitant/
https://www.musee-saintcloud.fr/la-porcelaine-de-saint-cloud
https://www.histoires-de-paris.fr/manufacture-porcelaine-comte-artois/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Louis_Dagoty
http://www.museedeseineport.info/MuseeVirtuel/Visiteurs/Schoelcher/Schoelcher.htm
https://www.visit.alsace/246005329-espace-museographique-victor-schoelcher-son-oeuvre/
https://alsaceocoeur.over-blog.com/2016/01/marc-schelcher-schoelcher-porcelainier.html
https://site.prix-fetkann.fr/victor-schoelcher/
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