Une image très populaire
Très prisée des peintres et illustrateurs du 19è siècle, ce thème de la gardeuse d’oies a également suscité auprès des artistes alsaciens de nombreuses représentations qui sont venues alimenter l’imagerie populaire de la région.
Des traditions plus anciennes
La proximité des oies avec le milieu aquatique a longtemps fait d’elles des intermédiaires naturels entre le monde des humains et celui plus obscur des esprits.
Selon les antiques croyances, c’est l’oie qui va chercher les petits à naître dans les sources et fontaines aux enfants .
Ces lieux appelés Kìnderbrùnna ou Brìnnala, se retrouvaient un peu partout en Alsace, à Niederbronn ou Schwindratzheim, Saverne ou Rosheim. Plusieurs sont également cités dans la vallée de Munster, notamment à Soultzbach mais également plus au sud, dans le Sundgau.
Eins, zwei, drei,
Un, deux, trois
Bigga bàgga béi
Bigga bàgga béi
Bigga bàgga Hàhnafüass
Bigga bàgga, bouton d’or
Die Gànz loift bàrfüass
L’oie marchant pieds nus
Rennt in dr Brunne nà
Court dans la fontaine
Holt a kleins Kind arùff …
Ramène un petit enfant…
(Comptine de la région de Munster, collectée par Mr Gérard Leser.)
On notera que l’oie partage ici un rôle identique à celui de la cigogne, autre hôtesse des lieux humides, cette dernière l’ayant depuis supplantée pour cette tâche dans l’imaginaire collectif.
La gänseliesele de Strasbourg
Le parc de l’Orangerie de Strasbourg accueille depuis 1898 une statue de Charles Albert Schultz
Cet ensemble fut commandé à l’origine pour la fontaine de la grande halle aux légumes, à coté de la Place du Corbeau. D’où le panier et la botte de carottes que se disputent la jeune fille et l’oie.
L’emplacement initial étant jugé trop sombre et ne mettant pas assez la statue en valeur, il fut décidé de la déplacer à l’endroit actuel, à proximité du pavillon Joséphine.
Derrière l’aspect anecdotique de ce petit monument se révèle l’importance économique que représentait, jusqu’à une époque récente, l’élevage des oies dans les campagnes.
Le site de la Ganzau, au sud de la ville, est là pour témoigner de ces espaces de prairies plus ou moins inondables où ces volatiles s’ébattaient en presque liberté.
Les petites gardiennes allemandes
En Allemagne, la popularité de ce thème peut être observé à travers les nombreuses représentations, de styles très divers, qui émaillent le pays du nord au sud.
OPEN GALLERYCertaines ont essaimé un peu plus loin, en Belgique, Hollande, Royaume Uni … OPEN GALLERYLe baiser de Göttingen
Mais la plus célèbre de ces statues est sans conteste celle qui orne depuis 1901 la place de l’Hôtel de Ville de Göttingen.
Dès l’origine, les étudiants de la ville prirent l’habitude d’aller embrasser la petite statue pour se porter chance au moment de s’inscrire à l’Université. Coutume qui s’est modifiée par la suite, le baiser n’étant donné que par ceux qui réussissaient à leurs examens et recevaient leurs diplômes. Face aux débordements qui accompagnaient cette pratique, la municipalité décida de l’interdire en posant une clôture et en verbalisant les contrevenants.
La décision ne fit qu’encourager l’esprit frondeur des étudiants. Malgré les amendes et les procès, la statue continua de recevoir son lot de baisers volés, l’interdiction ne finissant par être levée qu’en 1926.
La tradition se maintient encore de nos jours, la Gänsemagd étant régulièrement honorée par les étudiants qui viennent lui apporter des fleurs et embrasser ses lèvres de bronze au milieu d’un joyeux chahut.
Une gänsemädchenbrunnen itinérante
Construite en 1865/1866, cette statue, avec sa fontaine, marquait à l’origine l’emplacement du marché aux volailles de Vienne en Autriche.
En 1874, à la suite d’un incendie elle fut déplacée et installée devant la MariahilferKirche.
Mais, l’implantation d’un monument dédié à Haydn lui valut d’être à nouveau déménagée sur son site actuel, au bord de la MariahilferStrasse.
Dans chaque ville d’une certaine importance, un espace particulier était réservé à la vente des volailles et plus particulièrement des oies, les grandes foires d’automne représentant le point culminant de ce commerce.
Une victime toute désignée
L’automne constituait la meilleure période pour vendre les oies. Élevées pendant l’été, elles atteignaient leur maturité à l’automne et prenaient alors toute leur valeur marchande, étant prêtes à la vente ou à l’engraissage. C’est à cette période qu’elles étaient choisies en vue du paiement du métayage, la date de la Saint Martin (11 novembre) marquant précisément cette échéance. (Voir article précédent)
L’oie suisse de la St Martin
Dans la petite ville suisse de Sursee, dans le canton de Lucerne en Suisse, la Saint Martin voit se dérouler le gansabhauet, version locale du tir à l’oie.
Accompagnés de tambours, les participants à ce « jeu » particulier apparaissent vêtus d’une robe rouge et porteurs d’un masque doré en forme de soleil. Sabre en main, ils doivent s’efforcer de couper le cou d’une oie suspendue à un fil, l’affaire étant pimentée par le fait que le masque qu’ils portent les aveugle totalement.
On notera toutefois que, pour épargner les âmes trop sensibles, ce n’est plus une oie vivante qui est utilisée de nos jours. Abandonné au fil du temps, cet étrange cérémonial a été réinstauré en 1863, attirant chaque année un grand nombre de spectateurs et de participant(e)s.
Le jeu de l’oie ou tir à l’oie
La coutume du tir à l’oie procède de ce même comportement.
Il consistait à trancher le cou d’une oie suspendue par la tête à l’aide d’un sabre. C’est à cheval que les compétiteurs tentaient leur chance, le vainqueur étant celui qui y parvenait en un nombre minimal de coups, l’oie lui servant de récompense.
Il existait plusieurs variantes, le sabre étant parfois remplacé par un bâton ou même des pierres.
Le tir à l’oie reste toujours pratiqué en Europe ainsi que dans plusieurs régions de France, notamment au Pays Basque lors des diverses fêtes. Au grand dam des associations de défense des animaux qui, malgré le fait que l’oie soit déjà morte, s’insurgent face à une tradition jugée particulièrement barbare.
Du jeu à l’assiette
En Alsace, ce « jeu » se pratiquait le lundi de Pentecôte (Pfingstvogel), les gagnants profitant du butin ainsi gagné pour en faire un festin.
Rappelons que l’oie est longtemps restée un élément apprécié de la cuisine alsacienne, tout spécialement à l’époque de la St Martin. D’où de nombreuses recettes et, en particulier, celle du fameux pâté de foie d’oie créé pour le Marquis de Contades vers 1780. (Voir article précédent)
La tradition de l’oie de la St Martin était si forte que les maisons où ce plat ne pouvait être servi étaient considérées comme particulièrement déshéritées.
Discrète présence héraldique
Curieusement, bien très présente dans le paysage et les traditions, l’oie n’a pas laissée grande trace dans l’héraldique locale.
Elle apparaît presque en majesté sur les armoiries très parlantes de Lapoutroie (La-poutre-oie):
« D’azur à un pont d’or, maçonné de sable, sommé d’une oie d’argent becquée et membrée d’or ».
(Sur un fond bleu, un pont doré, maçonné de noir, portant à son sommet une oie blanche au bec et aux pattes dorées.)
Le blason de Pfetterhouse est plus singulier. Il représente une oie seule, de couleur noire:
» D’argent à l’oie de sable becquée et membrée de gueules « .
(Sur un fond blanc, une oie noire avec le bec et les pattes rouges.)
Il ne s’agit donc pas d’une oie domestique mais d’une oie sauvage, reconnaissable à sa couleur, à l’image de celles qui, chaque année au cours de leur migration, utilisaient les étangs proches de la commune pour y faire halte. Présence particulière qui a laissé son empreinte dans l’imaginaire local puisque les habitants du lieu portent le sobriquet de « Schneegans », les oies des neiges.
On notera que le cygne, oiseau très proche de l’oie mais considéré comme animal plus noble, est à peine mieux représenté puisque seuls les villages de Folgensbourg et Roppentzwiller, tous deux proches de Pfetterhouse, l’ont choisi pour emblème.
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Pour conclure, ayons une pensée pleine de gratitude pour toutes ces dames aillées qui, non contentes de nous fournir à manger aux fils des siècles, nous ont offert plumes et duvets pour nous réchauffer.
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Documentation
- Gérard Charles (1814-1877) – L’Ancienne Alsace à table – Etude historique et archéologique sur l’alimentation, les mœurs et les usages épulaires de l’ancienne province d’Alsace – Disponible sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k32151645/f1.image
- Saisons D’alsace N° 24 – Les Plaisirs De L’alsace À Table – Editions de La Nuée Bleue. 1967
- Irène De Font-Verger (textes) – Christophe Meyer (Photos) – L’Alsace à table -Saveurs et couleurs d’une province gourmande – Editions du Rhin. 1994
- Marguerite Doerflinger et Gérard Leser – Toute l’Alsace, à la quête de l’Alsace profonde – Rites, traditions, Contes et légendes – Editions SAEP – Ingersheim – Colmar. 1986
- Gérard Leser – Légendes du monde aquatique, des fées et ondines en Alsace – Collection « L’Alsace » Editions Degorce – 2019
Liens
https://mimimatelot.blogspot.com/2014/10/les-peintures-de-gardiennes-doies.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Hart
https://www.itinerairesprotestants.fr/circuits/marie-hart
https://e-monumen.net/patrimoine-monumental/lalsacienne-a-loie-strasbourg/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gänseliesel
http://www.raymond-faure.com/Goettingen/Goettingen_Markt.html
https://www.mein-goettingen.de/tipps/120-jahre-stadtgeschichte-das-gaenseliesel/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_de_l%27oie_(folklore)
https://biriatou.com/fr/jeu_de_l_oie.htm
https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article2894
https://www.lebendige-traditionen.ch/tradition/fr/home/traditions/fete-de-la-gansabhauet.html
https://www.alsacefoiegras.fr/lalsace-terre-de-foie-gras/
https://www.lapoutroie.fr/decouvrir/histoire-de-lapoutroie.htm#
Annick Meyer
24 novembre 2022Bien sympa et très intéressant cet article