Robe oder rock ?
En français, le mot ″robe″ désigne un ensemble, haut et bas confondu. Dans les siècles passés, l’expression ″corps de robe″ était même utilisé pour parler de la partie haute de cet ensemble. La ″jupe″, pièce séparée habillant le bas du corps, venait donc sous la robe. Curieusement, en langue germanique, c’est le mot ″rock″, de consonance proche de ″robe″, qui sert à désigner la jupe. Mais cet usage est plutôt récent, ″der rock″ servant encore dans certaines régions de langue allemande à nommer, comme en France, l’ensemble du vêtement.
A noter que dans le nord de l’Alsace et autour de Strasbourg, se retrouve le terme de ″Kutte″ ou ″Kotte″ (avec un e final ouvert) pour désigner le vêtement de manière générale. Lequel n’est pas sans rappeler la ″cotte″ médiévale, ancêtre lointain de … la robe.
Une distribution des rôles
Au 14è siècle, le vêtement occidental se diversifie profondément. Celui des hommes se raccourcit, libérant les jambes et privilégiant le mouvement. Les jupes féminines s’élargissent et s’augmentent d’un volume textile inusité jusqu’alors. La silhouette féminine en est transformée, le buste se trouvant mis en valeur par le resserrement de la taille et l’épanouissement de la partie inférieure du costume.
Par l’entrave qu’elle apporte aux mouvements, cette évolution vestimentaire va pérenniser le rôle passif, culturellement dévolu aux femmes.
Un déterminant visuel
Cette jupe qui découvre les pieds, voire le mollet, devient un identifiant social, les femmes de petite condition, les paysannes se reconnaissant désormais à ce cotillon court Telle Perrette que le fabuliste Jean de La Fontaine décrit ainsi : ″Légère et court-vêtue, elle allait à grands pas, Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile, cotillon simple et souliers plats …″
L’image de la paysanne à la jupe raccourcie va de cette manière traverser les époques, s’inscrivant dans un schéma naturel de classification des personnes.
Une discrimination sociale admise
Cette allure particulière vaut aussi aux paysannes d’être reléguées dans une position d’infériorité sociale.
″ce mauvais cotillon court qui ne va qu’à la moitié de ses jambes ; ces pieds nus et couverts de fange ne peuvent me blesser : c’est l’image d’un état que je respecte ; c’est l’ensemble des disgrâces d’une condition nécessaire et malheureuse que je plains…″
Des jupes en superposition
Lorsque l’on parle de ″jupes″, c’est souvent au pluriel. Car il était courant de porter plusieurs jupes l’une sur l’autre. Tout d’abord pour donner du volume et accentuer la minceur de la taille mais également pour se garantir du froid.
Ce qui permettait également, lors de certains travaux salissants, de retrousser la jupe de dessus, en geste de protection, dévoilant ainsi celle portée en dessous.
Cette seconde jupe n’était pas un jupon au sens où nous le comprenons aujourd’hui. La pièce de toile blanche qui porte ce nom de nos jours est d’invention tardive et réservée aux élites. Il eut d’ailleurs été impensable de dévoiler une partie aussi intime de son linge de dessous. C’est une jupe plus ancienne, dont la couleur avait passée ou était plus usée, que l’on montrait dans ces circonstances. On pouvait ainsi afficher l’abondance de son trousseau tout en gardant une apparence décente.
Un effet ″deux tons″
La partie basse des jupes s’abîmant davantage, il arrivait qu’on la remplace par une ″pièce rapportée″ issue d’un autre tissu, pas toujours assorti.
Au 17è siècle, il est ainsi fait mention des paysannes d’Altkirch (au sud de l’Alsace) venant à la foire ″avec leurs cotillons à bandes de toutes les couleurs″.
Cette apparence était peut-être dictée par un souci d’économie domestique, mais elle paraît s’être ancrée dans les mœurs puisque qu’un siècle plus tard, en 1785, Jacques Grasset St Sauveur nous livre plusieurs représentations des paysannes de la région de Strasbourg portant des jupes du même type :
Le principe économique des origines s’est transformé en une mode visiblement bien installée.
Une mode qui se pérennise
Jusqu’au milieu du 19è siècle, les alsaciennes se sont montrées très attachées à cette mode particulière. En se spécialisant, le costume dit ″traditionnel″, intègre alors cette jupe en plusieurs teintes, comme en atteste l’iconographie.
Mais la répartition de ces teintes se fait de manière plus ordonnée, en n’utilisant plus que deux tons. Le costume rural, tout en créant ses propres codes en dehors des modes citadines, n’en tend pas moins vers une certaine ″normalisation″ de ses aspects les plus archaïques.
La jupe se présente avec une partie supérieure de couleur contrastée, plus étroite, soulignant les plis autour de la taille. Le reste est en une autre teinte, avec un galon de couleur unie, disposé au niveau de l’ourlet.
Le jupon qui dépasse
Ce comportement vestimentaire, réminiscence des modes anciennes, mais bien ancrée dans les campagnes alsaciennes, était farouchement combattu par les autorités religieuses qui le considérait indécent.
Un témoignage textile
Quelques musées de la région conservent des pièces proches de ces exemples iconographiques. Plus longues que sur les gravures, ces jupes présentent une technique de répartition des plis autour de la ceinture assez singulière.
Ceux-ci sont distribués avec un effet de gradation dans la profondeur qui apporte du volume sur la partie arrière de la jupe. Le corselet qui les accompagne est souvent d’une coupe archaïque, ce qui incite à considérer ce type d’ensemble, jupe et corselet, comme les témoins de cette ancienne mode.
Les jupes de ces costumes sont majoritairement de couleur verte, couleur habituellement attribuée aux femmes de confession protestante. L’hypothèse selon laquelle elles seraient les vestiges d’une mode finissant par se cantonner à un seul village protestant n’est pas à écarter. En l’état actuel des connaissances, la question reste ouverte…
Une mode oubliée
Dans la seconde partie du 19è siècle, les progrès techniques ont permis le développement des modes paysannes. Chaque communauté villageoise ou paroisse a mis à profit ces innovations pour la mise en place de codes vestimentaires précis, destinés à l’identification inter-communautaire. Les jupes de plusieurs couleurs vont être abandonnées au profit de celles en une seule teinte.
Il est difficile de déterminer les raisons de cette disparition rapide. Faut-il y voir un changement radical de mode ? Une recherche de ″modernité″ ? Autre piste de recherche …
L’apparition du ruban fleuri
Difficile de préciser à quel moment un ruban fleuri est apparu au bas des jupes. Comme on l’a vu précédemment, c’est avec une simple bande de couleur contrastante que l’on soulignait l’ourlet.
Dans les villages cossus du Kochersberg, ces rubans fleuris vont apporter aux jupes féminines un supplément visuel apprécié. Des rangs supplémentaires de dentelle leur seront même ajoutés pour en augmenter l’effet. Manière pour les plus aisées d’afficher leur niveau de richesse.
La nouveauté ornementale apportée par ces passementeries diverses s’inscrit, elle aussi, dans le mouvement de démocratisation des productions textiles de la seconde partie du 19è siècle.
Introduites dans les campagnes grâce aux colporteurs, ces apports décoratifs ont non seulement contribué à l’enrichissement du costume féminin mais ont également renforcé les signes distinctifs entre les communautés villageoises.
Ainsi, c’est au bas des jupes des femmes protestantes que le ruban fleuri se fera remarquer, les catholiques restant fidèles au principe d’un galon uni au-dessus de l’ourlet, mais de couleur noire.
Références
- Voyages à pied faits dans la Lorraine, l’Alsace, et les Vosges, & la Franche Comté. Par Mr. J. Grasset de St Sauveur ci-devant Vice-Consul de Fr. en Hongrie. S. l., c. 1785
- « Mémoire de deux voyages et séjours en Alsace 174-1676 et 1681 Lazare de La Salle, dit « de l’Hermine », Réédition Hachette Livre BNF 2012
- Folklore et tradition en Alsace – Ouvrage collectif – Editions SAEP Colmar-Ingersheim 1973
- Costumes et coutumes d’Alsace – A Laugel et Ch.Spindler Editions Alsatia 1975
- Ceux d’Alsace – Ch. Spindler – Editions Place Stanislas 2010
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jupe
https://de.wikipedia.org/wiki/Rock_(Kleidung)
http://truchement.blogspot.com/2012/03/jubba-et-jupe.html
Un remerciement tout particulier à Mr Gérard Michel pour ses précisions linguistiques.
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