Une origine localisée
Il convient avant tout de rappeler que ce que l’on considère actuellement comme étant « le costume alsacien » n’est en fait que celui d’une partie limitée de la région, situé au nord et à l’ouest de Strasbourg. Resté à l’écart de l’exode rural qui a touché la partie sud de la région, il a pu conserver et développer des traditions très anciennes, à l’opposé des travailleurs, issus des campagnes, besognant dans les usines et manufactures. Influencée pas la mode urbaine, cette nouvelle classe ouvrière a rapidement abandonné le costume rural au profit de tenues plus conformes à son nouveau milieu de vie.
L’Age d’or du costume
Au milieu du 19 è siècle, la mode paysanne connaît un peu partout en France et en Europe une évolution sans précédent. L’industrie textile qui vide une partie des campagnes, met par ailleurs à disposition des ruraux des moyens d’expression nouveaux. Dans les riches régions agricoles du Kochersberg et du pays de Hanau, le costume profite de ces apports. Stimulé par les élites villageoises, il connaît une expansion inédite, faisant de la seconde moitié du 19è siècle un véritable âge d’or du costume paysan. D’un village à l’autre, une véritable compétition s’installe, chacun cherchant à se démarquer par des détails distinctifs.
La naissance du mythe
Cette concurrence va avoir pour effet d’accentuer les traits les plus marquants du costume. Comme un peu partout ailleurs, c’est surtout la coiffe qui fait l’objet de cette surenchère. Caractéristique des régions proches de Strasbourg, ce grand nœud va être popularisé par les artistes alsaciens installés à Paris. A travers leurs peintures, ce grand nœud va devenir une véritable icône régionale, faisant oublier la réalité de ses origines ainsi que ses autres caractéristiques.
Un modèle adapté aux besoins féminins
La base du costume alsacien se compose de deux pièces, une jupe et un corselet sans manches, rattachés l’un à l’autre au niveau de la taille. Le corselet est le plus souvent lacé sur le devant du buste. Cette conception est particulièrement adaptée aux besoins féminins, notamment en milieu rural. Elle facilite non seulement l’allaitement mais son système de fermeture par laçage permet également d’ajuster le vêtement aux changements corporels ponctuels liés à la grossesse.
Une différentiation sociale
Dernier avantage et non des moindres : la fermeture sur l’avant qui ne requiert aucune aide extérieure, contrairement aux costumes se fermant dans le dos. C’est sans doute pour l’ensemble de ces raisons que ce type de corsage est devenu un standard de l’habillement populaire.
La jupe qui l’accompagne est courte, dégageant la cheville et une partie plus ou moins importante du mollet selon les régions. La forme courte de la jupe est une constante du costume traditionnel et c’est d’ailleurs par ce cotillon court que les paysannes et femmes du peuple se distinguent des autres catégories sociales.
En 1768, Denis DIDEROT, décrit l’apparence des paysannes qu’il croise:
… ce mauvais cotillon court qui ne va qu’à la moitié de ses jambes ; ces pieds nus et couverts de fange ne peuvent me blesser : c’est l’image d’un état que je respecte ; c’est l’ensemble des disgrâces d’une condition nécessaire et malheureuse que je plains …
On est en droit de penser que toutes les femmes des milieux populaires ne présentaient pas une allure aussi miséreuse. Mais à travers ce commentaire, nous apparaît l’image de ces paysannes contraintes de circuler dans la boue des routes et chemins. D’où le choix quasi obligé d’une jupe raccourcie pour s’en prémunir. Seules les bourgeoises aisées et les aristocrates, ayant moins de contact avec l’extérieur, pouvaient se permettre de porter des jupes touchant le sol. Ce détail, en apparence anodin, marquait la frontière entre les catégories sociales.
Un costume à l’échelle de l’Europe
Le modèle de costume avec corselet sans manche, ouvert sur l’avant et attenant à la jupe n’est pas propre au costume alsacien. Son aire de répartition est particulièrement étendue, recouvrant à la fois les territoires de culture germanique, en lien avec le Saint Empire mais également les pays anciennement sous domination Habsbourg. De la Baltique au Danube, de la péninsule ibérique jusqu’à l’arc alpin, sans oublier une bonne partie de la botte italienne, c’est un vaste un ensemble culturel qui se dessine à travers lui. Chaque pays, chaque région a apporté sa touche personnelle à ce schéma vestimentaire de départ, sans que ses caractéristiques principales en soient vraiment modifiées.
Loin de l’image réductrice d’une tenue folklorique limitée à son petit territoire, le costume alsacien nous invite à regarder au-delà des frontières pour y découvrir comment, à travers lui, nous nous rattachons à une histoire plus vaste et plus universelle, celle de l’Europe.
Références
- Daniel Roche, La Culture des apparences. Une histoire du vêtement, XVIIe-XIXe siècle, Paris, Fayard, 1989
- Isabelle PARESYS, Paraître et Apparences en Europe occidentale du Moyen Âge à nos jours – éd. Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2008
- Denis Diderot – Extrait de « Regrets sur la vieille robe de chambre » – Livre de Poche – Edition 2004
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